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Il y a quarante ans, à l’époque de ses premiers écrits sur le radiothéâtre canadien-français et québécois, Renée Legris était sans doute loin d’imaginer qu’elle en rédigerait un jour l’éloge funèbre. Son Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise aurait pu en toute légitimité analyser la combinaison de forces du marché et de décisions administratives qui ont conduit à la disparition de cette forme d’art des ondes des stations commerciales et de Radio-Canada, mais l’ouvrage, et c’est tout à l’honneur de son auteure, fait bien mieux.

Le radiothéâtre fut un élément essentiel des transformations radicales qui marquèrent la vie culturelle et politique du Québec entre les années 1920 et la Révolution tranquille. Dans le premier tiers de l’Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise, Renée Legris esquisse l’évolution d’une variété de genres, permettant ainsi de situer la place du radiothéâtre et de saisir les particularités de cette forme artistique. Le radiothéâtre, en plus de constituer une tribune de choix pour l’expression créative, a entretenu de nombreux liens avec les milieux théâtraux et littéraires : l’écriture radiophonique contribua ainsi à la formation stylistique d’auteurs tels qu’Hubert Aquin, Yves Thériault et Marie-Claire Blais.

Partant de cet exposé général du sujet, Renée Legris entreprend d’examiner certains aspects précis du contenu du radiothéâtre québécois et du contexte dans lequel il s’inscrivait. L’auteure, dont les recherches approfondies et minutieuses témoignent d’un engagement exemplaire envers son sujet, met ainsi en lumière deux aspects particulièrement intéressants en juxtaposant la présentation des moeurs religieuses et sociales traditionnelles et l’émergence de la perspective féministe.

Le récit de Renée Legris est à son meilleur lorsqu’il entremêle analyses textuelles d’émissions particulières et discussions sur les tendances sociales qui les ont formées et influencées. Cela dit, Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise aborde plus difficilement les aspects pratiques du radiothéâtre, notamment l’utilisation d’effets sonores et de musique. Malgré une tentative prometteuse de délimiter et de distinguer l’esthétique sonore propre aux différents styles, genres et ères, l’élan initial a tôt fait de se dissiper, cédant le pas à des digressions où sont répétés des synopsis d’intrigues et des descriptions de personnages présentés plus tôt dans l’ouvrage.

À la décharge de l’auteure, il convient d’ajouter que le manque de clarté caractérise généralement les études de fond consacrées à l’esthétique du radiothéâtre. Cependant, par son recours intensif à des documents liés à des oeuvres antérieures à 1980, Histoire des genres dramatiques à la radio québécoise a tendance à valoriser des styles de production et de dramaturgie qui furent avant-gardistes il y a plus d’une génération. Cette valorisation pourrait être en partie justifiée : l’incapacité des auditeurs et de la direction des radiodiffuseurs à tirer parti des expérimentations postmodernes a contribué à marginaliser le radiothéâtre au Québec. La forme artistique conserve pourtant un public, comme l’indique l’auteure dans le chapitre final de son ouvrage où elle évoque la récente popularité du radiothéâtre à l’antenne de Radio Ville-Marie. Quelle que soit la forme adoptée, l’avenir du radiothéâtre québécois dépendra de la capacité de ses praticiens et de ses chroniqueurs à faire la preuve de la pertinence de ce média à une époque de changements rapides et d’incertitudes.