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Rassemblant les contributions de chercheurs réunis à Paris en mai 2011 dans le cadre d’un séminaire organisé par Jean-Michel Lacroix, directeur du Centre de recherche sur l’Amérique du Nord (Sorbonne Paris 3) et Pierre Hamel, alors titulaire de la chaire d’études canadiennes (Sorbonne Paris 3), cet ouvrage regroupe par deux huit contributions sous quatre rubriques : contexte historique et politique (Philip Resnick et Réjean Pelletier), éléments de diagnostic (Gérard Boismenu et Joseph-Yvon Thériault), pistes de solution (Dimitri Bonnet et Caroline Andrew) et attentes moins élevées (Robert Young et Éric Montpetit).

Un premier constat : le Québec et le reste du Canada forment des sociétés distinctes dont les différences ne cessent de se creuser, notamment en ce qui concerne la place que devrait occuper le Québec dans le Canada (Pelletier). Mais le fossé est plus large que cette seule question (Boismenu et Young). Boismenu montre que cinq ans après la reconnaissance officielle « que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni » par la Chambre des communes, aucune législation ni aucune décision politique ne s’y rattachent : impact nul. De surcroît, le gouvernement Harper continue d’agir aux antipodes des sensibilités québécoises (dénigrement des préoccupations environnementales, augmentation des équipements militaires, exacerbation des symboles monarchiques, etc.). Globalement du même avis, Young précise toutefois que la perte inéluctable de poids démographique et politique du Québec au sein de la fédération pourrait paradoxalement faire l’affaire des nationalistes québécois, car un Québec proportionnellement plus faible pourrait fort bien bénéficier d’une plus grande autonomie au sein du Canada, les arrangements asymétriques devenant alors moins menaçants pour le reste du pays.

Par son existence même, le Bloc québécois (BQ) rappelle aux autres Canadiens le problème constitutionnel : il exprime la cicatrice laissée par Meech, la réponse québécoise pendant six élections fédérales consécutives aux fins de non-recevoir canadiennes aux demandes de reconnaissance du Québec (Boismenu). Sa situation est cependant à double tranchant : en défendant les intérêts du Québec à Ottawa, le BQ rend la politique fédérale plus intéressante, augmente l’usage du français aux Communes et, par là, donne aux institutions fédérales une plus grande légitimité. Il court-circuite ainsi ses propres efforts vers la souveraineté du Québec (Bonnet).

En tant qu’initiateur du rapatriement de la Constitution en 1982 et instigateur du verrouillage législatif et juridique (renvoi sur la sécession, loi sur la clarté référendaire, etc.), le Parti libéral du Canada apparaît comme largement responsable de l’immobilisme dans le dossier constitutionnel. Certains auteurs se sont donc demandé si l’élection de gouvernements conservateurs avait apporté du nouveau. Selon Montpetit, la politique conservatrice s’apparente à une stratégie d’incrémentalisme disjoint, laquelle pourrait résoudre plusieurs points d’achoppement dans les relations Québec-Canada. L’incrémentalisme disjoint est une conception qui, à l’opposé de la pensée synoptique, fragmente les divers enjeux d’une situation. Sorte de pragmatisme segmentaire, il neutralise les discussions stériles sur la nature du Canada (fédération territoriale ou multinationale?), sur celle du Québec (simple province ou nation?) et sur les valeurs qui fondent leurs relations. Il permettrait de changer graduellement les conceptions du fédéralisme pour les conformer à la pratique concrète, d’opérer une série de petits changements dont les conséquences pourraient être vastes et de réduire l’intensité des conflits politiques grâce au caractère disjoint des mesures, les électeurs perdant de vue le portrait d’ensemble. En vantant les vertus de l’incrémentalisme disjoint, Montpetit ferait volontiers passer pour un chef-d’oeuvre artisanal ce que Boismenu qualifie d’hypnotisme politique.

Enfin, une contribution tranche radicalement avec les autres. Après avoir montré le poids social, démographique, économique et culturel des grandes villes canadiennes, Andrew condamne leur absence dans les structures du système politique. Pour renouveler le fédéralisme, elle propose donc de donner aux villes la capacité d’agir sur l’intégration des immigrants récents. Une solution qui dilue les relations Québec-Canada en n’en retenant que ce qui touche les rapports entre paliers de gouvernement, mais pour traiter en fait d’une tout autre question.

En bref, cet ouvrage n’indique pas comment dépasser le dialogue de sourds entre le Québec et le reste du Canada, mais il fournit les éléments de base de leurs conversations.