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Cet ouvrage ambitieux pallie assurément un manque. Sociologue titulaire de la Chaire d’études sur le Québec à l’Université Concordia, l’auteur a convoqué quelques chercheur-e-s afin de dresser un tableau original de l’évolution des moeurs sexuelles au Québec depuis un peu plus de cent ans. Malgré leurs thématiques parfois très pointues (il s’agit d’un ouvrage collectif ayant apparemment laissé totale autonomie aux auteur-e-s), les douze chapitres se lisent fort bien et nous entraînent dans des domaines encore peu explorés du rapport au corps, à l’intimité et à la censure en terre québécoise. Le discours de l’Église sur la chasteté est le thème commun des trois premiers chapitres, qui nous font notamment entrer dans les communautés religieuses et dans les collèges de garçons de l’époque. Le chapitre suivant, sur les standards de la police responsable de la moralité des jeunes hommes, est particulièrement savoureux. Outre qu’on y découvre combien la prostitution des garçons était répandue dans les années quarante, on y détecte l’émergence de stéréotypes qui auront la vie dure et, déjà, la notion de victime passive, qu’il conviendrait de plaindre, versus la victime active, qu’il faudrait corriger. Les chapitres V à VII traitent de la construction de la masculinité à travers le développement de l’identité nationale, la prévention des maladies vénériennes (le nombre de soldats canadiens atteints d’une MTS lors de la Seconde Guerre mondiale était effarant), et la vague naissante du culturisme grâce au pionnier montréalais en ce domaine, Ben Weider (petit chapitre tout en nuances). Les derniers textes abordent quant à eux la libération sexuelle qui s’amorce dès les années soixante (et même dès les années cinquante avec l’essor des journaux jaunes tant honnis par l’Église) avec la sécularisation du discours, la contre-culture, la libération homosexuelle et un cinéma qui « ose » − mais est-ce vraiment le cas ? s’interroge l’auteure, dans un texte un peu plus ardu que les autres, disons-le.

Bien écrits (ce qui n’est pas toujours le cas dans ce type d’ouvrage), bien structurés, remarquablement bien documentés, étayés de nombreux exemples, voire d’illustrations, tous ces chapitres se lisent avec un vif intérêt. Malgré l’érudition fine des auteur-e-s, voilà un ouvrage des plus accessibles, qui pourra certainement servir de référence aux étudiant-e-s de cégeps et d’universités dans les champs concernés (histoire, sociologie, anthropologie, criminologie, travail social et sexologie en particulier). On y lève le voile sur des aspects souvent cachés, mais combien évocateurs de notre histoire collective, laquelle gagne à être connue pour mieux comprendre notre présent. Une seule critique : j’aurais souhaité en apprendre et en lire plus encore. Le champ à couvrir est si vaste qu’on ne peut que souhaiter un second tome de cette histoire des sexualités québécoises, dont ce volume constitue un premier jalon fort réussi.