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Cet ouvrage est signé par un ingénieur à la retraite qui a été mêlé de près au dossier de la sidérurgie québécoise. L’auteur, historien amateur, présente dans l’ordre chronologique les pièces d’un dossier historique qu’il a patiemment colligées depuis 50 ans. Huit chapitres, émaillés de longues citations de lettres et de coupures de journaux ainsi que de nombreuses annexes qui reprennent divers textes relatifs à cette saga, font état de ce rendez-vous québécois manqué avec la sidérurgie, tant par le gouvernement Duplessis que par le gouvernement Lesage.

L’ouvrage se divise en deux parties distinctes, reprenant les actions et inactions de ces gouvernements. Dans la première, l’auteur est directement impliqué puisqu’il avait suggéré avec un collègue, Roger Potvin, la création d’une industrie sidérurgique sur la Côte-Nord, et ce, dès 1949. En utilisant des fours électriques alimentés par les bassins de rivière encore inexploités, il aurait été possible et rentable de construire un complexe industriel de traitement du nouveau minerai de fer afin d’en produire de la fonte. Embarrassés par cette proposition venue de deux professeurs de l’Université Laval – parce qu’elle contrecarrait les ententes avec de puissants intérêts miniers tels ceux des frères Timmins du groupe Hollinger –, Duplessis et des cadres supérieurs du ministère des Mines avaient manoeuvré de façon à la discréditer. Malgré les appuis de plusieurs journalistes, du Parti libéral et de l’Ordre de Jacques-Cartier, ce projet sera rejeté.

Les espoirs suscités par la victoire de Lesage et la Révolution tranquille seront tout aussi vains. Tels sont les propos tenus en deuxième partie. L’influence persistante de certains individus qui avaient participé à étouffer la proposition Cholette-Potvin, le grenouillage et la division du cabinet ministériel constitueraient quelques-uns des facteurs expliquant qu’au moment de la défaite de 1966, la sidérurgie québécoise demeure encore une fiction. Cela fera dire à Gérard Filion, premier président de la Société générale de financement : « La sidérurgie fut seulement une des aventures loufoques de cette Révolution tranquille » (p. 207).

Plusieurs reproches pourront être adressés à l’auteur car l’ouvrage n’est pas facile à apprivoiser. Une véritable introduction aurait sans doute permis de mieux comprendre le contenu. L’abus de longues citations qui provoquent des ruptures à répétition dans la lecture, souligne la volonté de l’auteur de produire une histoire-miroir : les faits devant parler d’eux-mêmes. Or, les voix portées par ces faits sont bavardes, discordantes, allusives et suggestives de sorte qu’elles auraient eu grand besoin d’un chef d’orchestre plus affirmatif et plus analytique ; plus critique aussi face à certains hommes politiques post-duplessistes qui ont prêté oreille au lobby des compagnies minières. L’historien amateur ne pouvait peut-être pas faire mieux, mais nous conservons l’impression qu’il s’est trop caché derrière les différents intervenants.

Un autre défaut réside dans cette insistance, en première partie, à démontrer la justesse scientifique du projet Cholette-Potvin alors que de toute évidence, l’opposition au projet restait politique, non scientifique, voire irrationnelle. On aurait aimé en savoir davantage sur le rôle joué par le sous-ministre Dufresne et son implication avec les grandes sociétés minières.

Si l’historiographie n’est pas absente de cet ouvrage, l’auteur y recourt néanmoins de façon maladroite, et parfois trop tardivement, comme en conclusion. Bien qu’il ait lu les principaux textes publiés sur le sujet, il ne les analyse pas et il situe mal sa propre contribution. Pourtant, celle-ci s’avère importante à nos yeux. L’incurie du gouvernement Duplessis en matière de gestion des ressources naturelles trouve ici une démonstration peut-être malhabile mais pourtant parmi les plus convaincantes qu’il m’ait été donné de lire.

On aurait tort de reprocher à l’auteur le manque de documents provenant des archives gouvernementales. Comme lui, nous en déplorons l’absence : le ministère des Mines a fait disparaître quantités de dossiers, ce qui tend à corroborer la thèse voulant qu’il s’y concluait des tractations qui n’avaient pas toujours à coeur les intérêts du grand public. Comment expliquer que la Hollinger payait annuellement 100 000$ de redevances indépendamment des quantités extraites tandis que dans le même souffle, elle sous-louait ces mêmes droits à l’Iron Ore qui, en 1956 seulement, lui avait versé plus de 3 millions de dollars (p. 195) ?

Dommage que l’auteur n’ait pas pris la peine d’inscrire cette recherche dans la perspective qu’avait brillamment tracée H.V. Nelles (Politics of Development), il y a 25 ans. Le domaine public est toujours confronté aux intérêts contradictoires des entreprises et des citoyens tandis que l’État, chargé d’administrer le bien public, sert d’arbitre. Les succès enregistrés par le Québec en matière d’hydro-électricité – succès beaucoup plus tardifs qu’en Ontario – ne doivent pas faire oublier l’échec lamentable de la sidérurgie.

Quoique les deux parties de l’ouvrage soient très distinctes, l’auteur sans doute eu raison de les souder parce que son dossier apporte un bel éclairage sur la Révolution tranquille. Au dire même de l’auteur, son exposé dissipe cette idée voulant que la Révolution tranquille ait été un fruit spontané (p. 282). Même si le dossier sidérurgique piétine tout au long du régime de Lesage, les intervenants et les discussions s’inspirent beaucoup des luttes antérieures. Par ailleurs, on pourrait penser que cette impuissance du gouvernement Lesage démontre peut-être aussi l’efficacité du lobby des sociétés minières.

L’anémique historiographie de l’histoire minière québécoise a certes besoin de cette contribution qui rebutera bien des lecteurs en raison de son organisation déficiente. Mais les propos sont honnêtes et m’ont beaucoup touché.