Comptes rendus

Steve Paquet, Folie, entraide et souffrance. Anthropologie d’une expérience parentale, Paris / Sainte-Foy, L’Harmattan / Les Presses de l’Université Laval, 2000, 134 p. (Sociétés, cultures et santé.)[Notice]

  • Henri Dorvil

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  • Henri Dorvil
    École de travail social,
    Université du Québec à Montréal.

Depuis plusieurs années déjà des spécialistes des sciences sociales rappellent que la notion de lien social s’impose aujourd’hui en sociologie et en anthropologie comme catégorie fondamentale, en ce qu’elle permet de penser l’institution « vivre ensemble » et la volonté de faire société. Le défi est de comprendre les mutations des relations constitutives au fondement de ce vivre ensemble, et parmi les enjeux cités en exemple, les différents types d’exclusion ou de solidarité. Le titre mentionné en rubrique retrace la prise en charge par les parents de personnes classées malades mentales dans le cadre d’un groupe d’entraide, la Méduse. Deux faits établis dans la littérature scientifique méritent d’être évoqués. L’un par rapport à la sociologie, l’autre par rapport à l’anthropologie. Tout d’abord les écrits de sociologues et d’historiens retracent les attitudes à l’égard des fous. Si, durant toute l’époque de la Renaissance la folie était perçue comme faisant partie intégrante du paysage culturel (textes savants, théâtre, musique…), dès le milieu du XVIIe siècle, l’Occident met brusquement fin à l’hospitalité qu’il avait accordée jusque-là à la folie. Ainsi, pour des raisons d’ordre moral, politique, économique, durant longtemps on prit l’habitude d’entasser dans les salles arrière des hôpitaux généraux, dans les asiles, des fous et toute une kyrielle de mendiants, gueux, infirmes avec qui ils avaient une certaine parenté sémiologique. Les années 1960 marquèrent un réveil en Occident. Erving Goffman a étudié scientifiquement l’asile pour y découvrir les effets dépersonnalisants et aliénants de ce monde concentrationnaire, voire kafkaïen. Cette étude est, à mon avis, l’une des contributions les plus importantes de la sociologie à la psychiatrie et à la santé mentale, puisque c’est le point de départ des réformes qui ont amené à la libéralisation des structures hospitalières et à l’humanisation des soins. C’est pourquoi, au cours des cinquante dernières années, de par le monde il y a eu un large mouvement introduisant des programmes de désinstitutionnalisation et de réadaptation en réponse à ces effets. Mais la folie est-elle devenue pour autant le monde de l’inclusion de l’altérité ? Voilà brossé à grands traits pour la sociologie. La balkanisation ou l’exclusion des fous constitue un phénomène universel. Claude Lévi-Strauss (1955), à la suite de multiples investigations menées dans diverses contrées avait décelé un choix, un parti pris en faveur des normaux, des formes pures et concomitamment une méfiance, une peur envers les déviants conçus comme porteurs du mal. Pour lui, il y aurait deux catégories de sociétés. Tout d’abord des sociétés anthropophages, c’est-à-dire qui voient dans l’absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen de neutraliser celles-ci et même de les mettre à profit. Ensuite, des sociétés anthropémiques (du grec emein, vomir) comme la nôtre qui, placées devant le même problème, choisissent la solution inverse consistant à expulser les « anormaux » hors du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec l’humanité, dans des établissements destinés à les recevoir. Le symbolisme derrière cette absorption dans un cas et d’une mise en quarantaine dans l’autre explique en partie le sentiment de répulsion animant la communauté à l’égard des premières cohortes de patients psychiatriques sortis de l’asile dans le cadre de la désisntitutionnalisation. Ces personnes, ces citoyens rapatriés faisaient figure d’étrangers, de barbares, même aux yeux de leurs propres familles. Cette manière de traiter les corps différents ne constitue guère un acte isolé, mais fait partie d’un appareillage des us et coutumes régissant le fonctionnement des sociétés, la vie, la mort. Toute maladie mentale est intrinsèquement traversée par la culture, dans ses modalités d’expression, dans son évolution et dans l’ensemble des réactions personnelles et sociales …