Comptes rendus

Esther Trépanier, Peinture et modernité au Québec, 1919-1939, Québec, Nota bene, 1998, 395 p. (Essais critiques.)[Notice]

  • Louis Jacob

Tant par son sujet et ses qualités intrinsèques que par l’amplitude de la problématique mobilisée, cet essai constitue une exception dans l’histoire et la sociologie de l’art au Québec, et à ce titre mérite une attention particulière. Le présent compte rendu ignore volontairement l’important volet iconographique, et ne retient que les principaux éléments de cette minutieuse réflexion sur l’émergence de la modernité esthétique. Élaboré à partir d’une thèse de doctorat présentée à la Sorbonne en 1991, l’ouvrage intègre diverses recherches entreprises par l’auteure, notamment sur la représentation picturale de la ville, sur la critique et sur la réception des oeuvres d’art dans les premières décennies du XXe siècle, selon une approche que l’on peut qualifier à la fois d’historique et de socioculturelle. L’analyse elle-même procède selon deux perspectives, qui occuperont les deux parties de l’ouvrage : l’étude de la critique d’art, qui donne voix à une pensée parfois seulement implicite dans la pratique picturale, et l’étude des tendances picturales, des procédés et des thèmes qui matérialisent la modernité artistique. Dans une courte mais substantielle introduction, Esther Trépanier écarte les lectures idéologiques ou linéaires de l’histoire de l’art, et les lectures européocentristes qui interdiraient de voir la spécificité de la figuration au Québec durant la période. Ce qu’on appelle parfois le « retour » au réalisme témoignerait, au Québec, non pas d’une régression mais d’un progrès vers la modernité. Notons que la modernité qui est examinée ici est double : d’une part, il s’agit de la modernité urbaine et industrielle qui entre en crise dans les années 1920-1930, d’autre part de la modernité picturale caractérisée par la rupture avec l’académisme, et avec certaines formes de régionalisme et de nationalisme en art. L’ambition de l’auteure est de montrer comment s’articule l’adhésion des peintres à la modernité (dite culturelle ou esthétique), et comment se transforment les paramètres mêmes de cette modernité qui prépare la logique « constructive » et « autoréférentielle » des avant-gardes qui s’affirmeront plus tard, dans la seconde moitié des années 1950. L’argument est complexe, puisqu’il y aurait ici une première modernité, suivie d’une autre, chacune connaissant des spécificités esthétiques, sociales, culturelles. La première modernité esthétique se développe autour d’une théorie de l’art figuratif qui se donne pour nécessaire l’interprétation de la réalité (réalisme humaniste ou personnaliste, lutte pour la démocratisation de l’art, l’éducation artistique, la fonction sociale de l’art). La première partie de l’essai porte sur « L’émergence d’un discours sur la modernité » tel qu’il se développe dans la critique d’art. La critique est souvent la seule à construire une théorie de l’art vivant ; elle identifie le changement et sensibilise le public ; elle est enfin elle-même un facteur de changement et de rassemblement autour des nouvelles pratiques. L’auteure a examiné plus de 500 articles publiés entre 1919 et 1939. Elle s’est essentiellement intéressée à la hiérarchie, ou à l’importance relative, et aux relations établies par le critique entre trois paramètres : le « sujet de représentation » ou sujet peint, le « sujet créateur » ou sujet peignant, et les « procédés formels » du travail pictural. Cette grille d’analyse est conforme à son objet et elle n’est pas trop éloignée de la pensée esthétique de l’époque. Elle tient également compte de la conjoncture : nationalisme et régionalisme, crise économique, interrogations sur la fonction sociale de l’art et ses institutions. Dans les textes critiques des premières décennies du XXe siècle, c’est la question de la nature du sujet peint qui domine sur les autres paramètres, mais cette domination est en train de basculer. En effet, la période étudiée est transitoire. Elle commence alors que …