Critique

Le grand dérapage ou les dessous des réformes de l’éducation Note critique[Notice]

  • Régine Pierre

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Le livre de Nicole Gagnon, Un dérapage didactique : comment on a cessé d’enseigner le français aux adolescents, (Montréal, Stanké) paru au moment où le ministère de l’Éducation implantait une nouvelle réforme des programmes, est d’autant plus pertinent que l’on a malheureusement très peu écrit sur le sujet. L’ignorance qui en découle s’est notamment manifestée dans les justifications que le Ministère a avancées pour expliquer les orientations adoptées. Dans une vidéo produite pour vendre la réforme, le sous-ministre de l’Éducation au primaire oppose ces orientations aux modèles behavioristes alors qu’ils avaient déjà été remplacés par les réformes précédentes (Pierre, 1999). Il attribue, par ailleurs, à la réforme actuelle des changements qui avaient été introduits dans la réforme de 1979, qui a marqué le véritable virage épistémologique (Godard et Pierre, 2000). L’intérêt du livre de Nicole Gagnon est qu’il permet de remonter en amont de cette réforme et de mettre au jour les mécanismes qui ont présidé au fonctionnement actuel du ministère de l’Éducation et notamment à l’établissement des relations particulières qui se sont tissées entre le Ministère et les facultés des Sciences de l’éducation qui ont vu le jour à la même époque. Sa force tient aux solides appuis que la chercheuse s’est donnés en puisant dans les témoignages rapportés par les principaux protagonistes de ces réformes dans le cadre d’une recherche dirigée par le collaborateur de cette publication, Jean Gould. Lorsqu’en 1965, les écoles normales ont intégré l’université, il ne s’agissait pas que d’une réforme administrative. Ce nouveau rattachement institutionnel devait conduire à une refonte en profondeur de la formation des enseignants qui jusqu’alors avait été sous la tutelle pleine et entière de l’Église. Comme le rappelait Bernard Landry, dans une entrevue, en cette époque de sa vie où il faisait son cours classique au Séminaire de Joliette, l’éducation au Québec était très en retard sur les autres pays développés. En 1964, le clergé qui avait encore présidé la Commission Parent cède la gestion de l’éducation au nouveau Ministère qui a pour premier mandat l’implantation des réformes préconisées par la Commission. La création des polyvalentes, des cégeps, d’une université décentralisée, concrétisait les aspirations de démocratisation et d’ouverture sur le monde du peuple québécois, en quête d’identité et de reconnaissance. La fin des années soixante marque aussi pour le Québec la fin de la Grande Noirceur et l’espérance d’une société plus égalitaire où les Québécois francophones mieux instruits et plus ouverts sur le monde prennent enfin les rênes du pouvoir jusqu’alors aux mains de la minorité anglophone. Émerge alors le rêve d’une société sociale-démocrate, portée par l’utopie de l’indépendance, qui se projette dans un nouveau type de leaders et une nouvelle vision de la politique. En 1967, l’Université de Montréal fait siennes ces valeurs en modifiant la Charte qui l’avait créée. Elle inscrit, dans le préambule de la nouvelle Charte, les deux principes fondateurs qu’avaient intégrés les universités modernes depuis la fin du XIXe siècle et qu’intégreront à leur tour les autres universités québécoises : l’autonomie universitaire et la liberté académique. La nouvelle mission de l’université devait donner vie à ces deux principes. Les statuts, les règlements et les structures qui allaient en découler devaient orienter l’évolution de l’institution. Une nouvelle génération d’universitaires allaient dorénavant allier recherche, enseignement, participation au fonctionnement de l’université et service à la collectivité. L’obligation qui était faite à chaque professeur, par la convention collective, d’assumer ces quatre fonctions, devait différencier fondamentalement les universités des autres organisations publiques et parapubliques et des autres niveaux du système d’éducation. La nouvelle Charte et les conventions collectives reconnaissaient formellement et instituaient juridiquement …

Parties annexes