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Voici un ouvrage qui dresse un portrait relativement complet de l’action bénévole au Québec, de ses principaux champs d’application et de l’étendue de son impact sur les transformations de la société québécoise. Deux grandes parties divisent le livre : la première est consacrée à la genèse du bénévolat et à son inscription dans les oeuvres caritatives, surtout confessionnelles et la seconde est une analyse sociologique du domaine du bénévolat aujourd’hui et de ses acteurs, à partir d’une enquête de terrain à Québec.

De fait, à travers cette analyse du bénévolat, les auteurs brossent un portrait contrasté des transformations de la société québécoise au 20e siècle. Cette étude, qui s’inscrit dans la foulée des travaux qui font de la société civile le moteur du changement social, développe trois thèses principales. La première vise à montrer l’institutionnalisation du bénévolat à travers ses démêlés avec l’Église (catholique) et avec l’État (québécois). La deuxième, qui semble tautologique, est de montrer que l’histoire du bénévolat est intimement liée à l’histoire du Québec et, dans la foulée, de lier ses tensions internes aux grands phénomènes de la modernité, ce qui constitue la troisième thèse du livre.

Si cette formulation peut apparaître maladroite, de fait, ce que cet ouvrage réussit à démontrer est l’existence d’une très grande porosité entre les mouvements de fond qui traversent la société québécoise et ceux qui sont animés par les associations bénévoles. Pourquoi alors si peu d’études sur cette question? Et surtout, pourquoi si peu d’études comparatives, ce qui permettrait de montrer que l’institutionnalisation du bénévolat est un phénomène propre aux sociétés catholiques surtout, où l’Église définit un mode d’intervention hiérarchisé et univoque dont les organismes bénévoles ont beaucoup de mal à se départir. Car si nombre d’entre eux se séparent de l’Église, et amorcent un tournant non confessionnel et laïc, les formes de leur organisation et leur mode d’intervention en portent toujours la marque.

De manière similaire, le secteur bénévole, qui en s’unifiant récemment s’est institué comme une alternative ou un complément à l’action étatique, emprunte à la société marchande ses représentations (soutenir la vie démocratique, favoriser le développement social) en y ajoutant une dose de solidarité sociale et de développement personnel. Du communautaire à l’accompagnement et aux groupes d’entraide, le bénévolat offre un supplément d’âme à ceux qui reçoivent l’aide et à ceux qui la donnent. Toutefois, un procès de légitimité continuel entache les perceptions des bénévoles qui doivent réitérer leur engagement comme un acte personnel où le don de soi s’accompagne obligatoirement de ce qu’on en retire, sous peine de mal paraître.

Les auteurs ont ainsi réalisé un travail remarquable, réussissant à donner un sens au foisonnement d’organisations et de représentations liées aux organisations bénévoles au Québec, ainsi qu’à illustrer l’oeuvre de ces organisations. On s’interroge, à l’issue de cette lecture, sur les raisons qui conduisent encore aujourd’hui à sous-estimer et souvent à oublier ces pans entiers de l’histoire du Québec, qui éclairent pourtant par bien des aspects le mouvement profond de sécularisation entamé par ces organisations, bien avant la Révolution tranquille. Cet ouvrage présente le grand intérêt de combler cette lacune.