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L’identité constitue l’un des champs importants de la recherche contemporaine, tout comme l’immigration et la ville. L’identité est aujourd’hui conçue comme résultat de constructions et de stratégies, en constante évolution et en recomposition (Kaspi et Ruano-Borbalan, 1996-1997, p. 4). Une série de facteurs tels que la mobilité accrue, les contacts et les diverses formes de métissage, qui « brouillent » et « interpellent » les systèmes de référence identitaires habituels, requièrent de nouvelles approches de l’identité (Vienne, 2000 [1991], p. 800).

Plusieurs disciplines étudient l’identité, l’immigration et la ville, isolément ou en interaction. L’étude comparée des recherches sur les interactions identité-immigration-ville dans trois espaces francophones, à savoir le Québec, la France et la Belgique, permet de repérer les thèmes privilégiés dans chaque aire et d’observer parallèlement la façon dont des concepts tels qu’ « identités urbaines » et « écritures migrantes » se construisent et atteignent une légitimité.

1. Identité migrante

Si, comme le rappelait Carmel Camilleri, pour les théoriciens actuels, « l’identité n’est pas une donnée, mais une dynamique » (Camilleri, 1996-1997, p. 32), la construction de l’identité des immigrés est particulièrement complexe : elle apparaît comme mouvance, dialogue, déconstruction et reconstruction, mémoire et oubli. Parmi les disciplines qui ont scruté ce domaine, la psychologie culturelle, la sociologie, l’anthropologie et l’histoire ont beaucoup contribué à l’interprétation de ce que nous pouvons appeler « identité migrante ». Ainsi, l’analyse du processus d’acculturation par Sélim Abou (1981), l’étude des stratégies identitaires des immigrés par Carmel Camilleri (1996-1997), les recherches menées sur le rapport entre intégration et identités par Altay Manço (1999) et les récentes recherches des historiens Andrée Courtemanche et Martin Pâquet (2001) sur les notions d’expérience migratoire et de temps constituent une base théorique pour aborder l’analyse de l’« identité migrante » en tant qu’identité personnelle (ensemble organisé de sentiments, de représentations, d’expériences du passé et de projets d’avenir), identité sociale (cf. l’influence du regard des autres, la visibilité), identité souhaitée et identité perçue, et en incluant le rapport réflexif à soi (fonction ontologique de l’identité) et le rapport aux autres (fonction pragmatique de l’identité).

L’identité migrante se base sur un processus d’acculturation où interviennent essentiellement le rapport avec le pays d’origine – ou même la région d’origine –, la pré-émigration, la « migrance »[1], le projet et les « horizons d’attente » (Courtemanche et Pâquet, 2001, p. 14) du migrant, les interactions entre les cultures en contact ainsi que le type de modèle d’intégration du pays d’accueil. Le processus d’acculturation propre aux « ayant migré » et aux « issus de l’immigration » se révèle différent. Ainsi, Sélim Abou distingue une acculturation « matérielle »[2], qui touche les immigrants proprement dits, où le « processus de réinterprétation » (Abou, 1981, p. 57) est dominant, et une acculturation « formelle »[3] caractérisant les sujets de la deuxième génération et où le « processus de synthèse » (Abou, p. 58) l’emporte.

En outre, le processus d’acculturation se révèle différent chez les immigrants qui s’intègrent dans des groupes fonctionnant sur un mode communautaire par rapport à des immigrants qui construisent leur acculturation comme un processus plutôt individuel. Un autre facteur qui perturbe, freine ou fait avancer le processus d’acculturation est l’intégration sociale et économique des migrants ; la question du logement et de l’environnement spatial est au coeur de ce problème.

2. Identité urbaine

Le mouvement inhérent à la construction de l’identité migrante est associé à un mode temporel, celui du « futur actualisé » : les migrants se projettent dans l’avenir et ont des « horizons d’attente » (Courtemanche et Pâquet, 2001, p. 14). Dans la construction de leur identité personnelle et sociale, la promotion sociale constitue un élément structurant.

Dans certains pays d’immigration, surtout des pays européens tels que la France ou l’Espagne, le logement des migrants se situe dans des territoires en crise, dans un habitat précaire. Ainsi, au « délit de faciès » qui stigmatise certains migrants s’associe le « délit d’adresse » (Begag, 2003). La dislocation identitaire, la désintégration d’une partie de leurs habitants, surtout des jeunes issus de l’immigration, en est une des conséquences.

Dans la Revue Européenne des Migrations Internationales, Sophie Body-Gendrot et Véronique de Rudder se posent la question « La forme d’organisation, l’obsolescence sociale, en dévalorisant le champ spatial, dévalorise-t-elle l’identité ? » et y répondent ainsi : « Les populations ségrégées, assignées à des territoires en crise, en déclin et dévalorisés sont désignées par cet habitat, identité qu’elles acceptent ou refusent alternativement » (Body-Gendrot et deRudder, 1998, p. 7 et 11).

Cette désignation, présente dans l’imaginaire social de la société d’accueil, et l’absence d’identification dans l’autoreprésentation des migrants, constituent l’un des éléments qui configurent l’ « identité urbaine ». L’exclusion et la ségrégation interviennent dans la construction de l’identité migrante de même que l’appropriation d’un espace comportant des conduites qui assurent aux humains un maniement affectif et symbolique de leur environnement spatial (Merlin et Choay, 1996 [1988], p. 51). Le fait d’investir une ville, un quartier, une rue fait partie des processus d’acculturation des migrants et donc de leur identité personnelle et sociale.

Sophie Body-Gendrot et Véronique de Rudder affirment la nécessité d’une analyse qui embrasse ce qui est habituellement traité de manière fragmentaire dans la recherche : l’immigration, l’intégration, la citoyenneté, la pauvreté, la « race » et l’ethnicité, les politiques urbaines, la « participation des habitants » (Body-Gendrot et deRudder, 1998, p. 8). Ainsi, c’est dans une orientation pluridisciplinaire et transdisciplinaire qu’une série de chercheurs a exploré les identités collectives dans les villes des XXe et XXIe siècles dans une publication parue au Québec en 2003, Identités urbaines, Échos de Montréal (Morisset et Noppen, 2003). Dans la présentation, les coordonnateurs posent que « les identités urbaines auxquelles nous nous référons présupposent que la ville soit signifiante, c’est-à-dire qu’elle soit un objet de représentation. C’est cette représentation, dans sa genèse, dans son mécanisme comme dans sa forme “objectale”, qui est l’identité » (Morisset et Noppen, 2003, p. 5). Et dans cette approche, on peut constater la grande diversification des lectures que la « pensée identitaire » de l’environnement construit a induite.

Le concept « identités urbaines » comprend aussi bien l’identité que la ville se forge que le degré d’appropriation et d’identification de ses habitants. Le processus d’intériorisation de l’identité urbaine chez les migrants comporte l’apprivoisement, l’appropriation et l’identification. Même lorsque les migrants quittent un territoire autrefois habité, sa mémoire continue à les habiter. Et c’est cette mémoire d’un quartier, d’un logement, d’une rue, des bidonvilles ou des cités HLM que des écrivains migrants tels que Mauricio Segura, Marie-Célie Agnant, Marco Micone ou Azouz Begag évoquent, interrogent et s’engagent à perpétuer.

3. Écritures migrantes

La dénomination « écritures migrantes » est née au Québec : elle a été proposée par Robert Berrouët-Oriol (1986-1987) et a été ensuite adoptée par divers chercheurs dont Pierre Nepveu (1999, p. 197) en vue d’accueillir et de classer des textes parus au Québec surtout depuis le début de la décennie 1980. Pierre Nepveu (1988), Simon Harel (1989), Sherry Simon (1999), Fulvio Caccia (1992), Lucie Lequin et Maïr Verthuy (1996), Pierre L’Hérault (1999), Lise Gauvin (2000), Daniel Chartier (2003) et d’autres ont étudié la littérature migrante et ont contribué à faire que la recherche sur les écritures migrantes au Québec puisse être considérée comme un modèle du point de vue scientifique et même éthique.

Lorsque nous observons la situation dans d’autres pays d’immigration, notamment des pays européens, nous constatons que le degré de visibilité et de reconnaissance de la littérature migrante est bien inférieur à celui du Québec. Les universitaires québécois, à partir du milieu des années 1970 et, de façon plus décisive, à partir du début des années 1980, se sont intéressés aux mouvements migratoires, à la formation des communautés immigrantes et aux rapports que les immigrants entretiennent avec la population majoritaire (MataBarreiro, 2003b ; Taschereau, 2002, p. 201). Les écritures migrantes au Québec, caractérisées par une grande richesse associée à la diversité de cultures et de dialogues culturels que véhiculent les textes, ont été accueillies par des maisons d’édition importantes et leur visibilité est remarquable dans l’univers des manuels scolaires, dans celui des médias ainsi que dans celui de la recherche et de la communication universitaires. Comme le rappelle Joël Des Rosiers, ces écritures « font bel et bien partie de notre patrimoine littéraire et culturel et marquent un tournant dans l’évolution de la littérature au Québec » (Des Rosiers, 1999, p. 194).

La construction de la notion « écritures migrantes » est le fruit d’un travail critique et de la reconnaissance de l’apport des écrivains migrants à la culture de la société d’accueil. Et c’est de nouveau le respect et l’éthique, présents dans l’écoute de la critique manifestée par certains écrivains migrants comme Régine Robin, Abla Farhoud ou Dany Laferrière, qui déterminent un débat, chez des chercheurs québécois, sur la pertinence ou non de cette dénomination.

En France, le respect et la volonté de valoriser l’immigrant sont présents chez des intellectuels et dans des médias tels que Le Monde, Le Monde diplomatique, Courrier international, dans des revues telles que Sciences Humaines ou Hommes & Migrations, malgré le rejet de certaines valeurs appartenant à certaines cultures – notamment la culture musulmane – chez des décideurs. Dans la décennie 1990 et au début de la décennie 2000, le progrès est palpable dans l’édition des oeuvres d’écrivains migrants. Mais en ce qui concerne la reconnaissance et la visibilité de la littérature migrante ainsi que son adoption par l’institution littéraire française, demeurent beaucoup d’hésitations : des critères d’adoption fort arbitraires ont fait de Ionesco ou de Beckett des écrivains français tandis que Tahar Ben Jelloun était présenté comme un auteur francophone[4]. Et les catégories, englobant une partie de la littérature migrante, de « littérature issue de l’immigration maghrébine » ou de « littérature beur », présentent des problèmes de classification, de désignation et de délimitation du corpus (Hargreaves, 2002).

L’émergence et la réception de la littérature migrante sont différentes d’un pays à l’autre ; aussi serait-il plus pertinent de proposer une série de traits communs que de chercher partout un même processus. Ainsi, le premier trait serait l’hybridité, comme le soulignent Régine Robin et Sherry Simon :

L’hybridité se situe […] dans la rencontre inhabituelle des signes culturels, dans la juxtaposition de répertoires habituellement tenus séparés. Micone et Laferrière, comme de nombreux autres auteurs d’origines diverses, ont nourri la littérature québécoise d’imaginaires nouveaux. […] Le texte hybride interroge les imaginaires de l’appartenance, en faisant état de dissonances et d’interférences de diverses sortes.

Simon, 1999, p. 44-45

Écritures transnationales et transculturelles, elles opèrent le passage de la transe au paradigme du trans, de l’identité assignée à celle de la traversée. Elles mettent en scène des identités de parcours, d’itinéraires, non fixées, sans être totalement dans l’éclatement. (Robin, 2000. p. 35.) La confrontation des éléments disparates aboutit à des genres divers (théâtre, poésie, roman, nouvelles, littérature de jeunesse) et à des genres hybrides pour lesquels nous avons besoin de chercher de nouvelles catégories telles que la « fausse biographie, fausse autobiographie » (Robin, 1999) ou la « biofiction » (Robin, 1996). L’écriture migrante se présente ainsi comme une écriture de frontière : ainsi, Le figuier enchanté de Marco Micone (1992) participe à la fois de la mémoire et de la fiction, du récit et du théâtre.

La confrontation des langues, le métissage linguistique reflètent souvent le paysage sonore du pays ou de la région d’origine, les mots de l’enfance associés à des sensations. La langue des textes fait ainsi converger et traduit des espaces et des temps différents constitutifs de l’identité des écrivains ; elle rapproche et fait des synthèses. Ainsi, nous repérons le créole chez Marie-Célie Agnant, des italianismes chez Marco Micone, mais aussi des langues métisses comme « les mots bouzidiens », fruit de la rencontre entre les traits phonétiques de la langue arabe et la langue française chez Azouz Begag (1986), ou la juxtaposition des langues dans les poèmes de Antonio D’Alfonso (1983). Les écrivains migrants construisent leur langue et s’interrogent sur leur statut : langue identitaire ? langue de traduction ? langue seconde ? langue à soi ? langue de l’autre ? Dans leur parcours d’acculturation, les écrivains migrants s’approprient souvent la langue de la société d’accueil, langue qui parfois fascine et qu’on rêve de maîtriser (Begag, 1986). Dans d’autres cas, même s’il partage une même langue (par exemple, le français, s’il provient d’un autre pays francophone) ou plutôt le code linguistique, l’écrivain migrant tient à revendiquer un univers référentiel autre lié à une histoire, à une mémoire, à un imaginaire social différents (Robin, 1993).

Une question essentielle est la délimitation des écritures migrantes : celles dont les auteurs sont issus de l’immigration ? celles dont les auteurs sont soit des « ayant migré », de vrais immigrants, soit des « issus de l’immigration » ? Élargir le corpus rend ces écritures beaucoup plus riches tant du point de vue sociologique que littéraire. Il nous semble important d’accepter cette hétérogénéité profonde et cette complexité du corpus et de respecter, dans la lecture et dans l’analyse, le préalable de la complexité.

4. Le regard de l’Autre, migrant, sur l’espace urbain et l’écriture migrante

Dans les dernières décennies, le regard de l’Autre, migrant, sur la société d’accueil et, plus particulièrement, sur l’espace urbain des villes francophones, s’exprime dans la littérature – dans l’écriture migrante –, dans le cinéma[5], et dans des expressions musicales associées à ce qu’on appelle les cultures urbaines, à savoir le rap et une musique éclectique représentée par des groupes comme Zebda à Toulouse. Les acteurs de ces différents univers interviennent dans l’espace politique[6], occupent un espace culturel et participent à un espace de réflexion et d’analyse.

Dans le domaine de l’écriture migrante, chez beaucoup d’écrivains, l’approche fictionnelle et l’approche analytique, voire scientifique, coexistent. Le processus de construction de l’identité culturelle et de l’identité urbaine se met en scène dans la poésie, le roman, les nouvelles, la littérature de jeunesse, le théâtre, et cette création rejoint la réflexion concernant la construction des identités, la migrance, l’acculturation et l’espace urbain, ainsi que les différentes lectures de la ville ; réflexion qui s’exprime dans des essais et dans des articles. Ainsi, Joël Des Rosiers, écrivain d’origine haïtienne et vivant au Québec, a écrit Métropolis Opéra (1987) en poète et réfléchit sur l’espace et l’identité dans Théories Caraïbes, Poétique du déracinement (1996) ; Naïm Kattan évoque le Bagdad de son enfance dans le roman Adieu, Babylone (1975) et réfléchit longuement sur les villes dans L’Écrivain migrant. Essais sur des citéset des hommes (2001) et Les villes de naissance (2000) ; Azouz Begag, issu de l’immigration algérienne en France, a écrit des romans tels que Le gone du Chaâba (1986) ou Dis Oualla ! (1997), où il évoque son vécu dans les bidonvilles ou les HLM, et il a étudié la perception de l’espace urbain, la distance mentale qui sépare les quartiers sensibles du reste de la ville ainsi que la mobilité urbaine dans des livres tels que L’immigré et sa ville (1985), Du bon usage de la distance chez les sauvageons (1999), La ville des autres. La famille immigrée et l’espace urbain (1991), et dans Les Annales de la recherche urbaine et les Annales de Géographie.

C’est la formation ou l’expérience professionnelle de beaucoup d’écrivains migrants qui nourrit leur réflexion sur l’identité urbaine. Chez Naïm Kattan, c’est son expérience en tant qu’administrateur culturel qui fit déjà partie de la Régie se chargeant du projet de la Place des Arts de Montréal dans la décennie 1960 ; chez Azouz Begag, c’est sa formation en économie et son expérience en tant que chercheur au CNRS. À ces différents profils s’ajoute, chez certains, l’acceptation d’un rôle de porte-parole ou « porte-plume » ou même de témoin de leur groupe ethnoculturel, des communautés migrantes ou de certaines catégories à l’intérieur de celles-ci, telles que les femmes noires, comme chez Marie-Célie Agnant, écrivaine montréalaise d’origine haïtienne. En assumant ce rôle social, leur objectif est double : celui de participer à la prise de conscience et à la réflexion. Les destinataires de leur discours sont pluriels, à savoir la société d’accueil et les groupes ethnoculturels migrants.

5. L’écriture migrante, moteur de prise de conscience de la mémoire de l’espace urbain et périurbain

La lutte contre l’amnésie

Azouz Begag (1998) raconte comment la lecture du roman de Mehdi Charef Le thé au harem d’Archi Ahmed (1983), dont l’expérience sociale du héros se rapprochait beaucoup de la sienne, lui révéla « la puissance sociale de l’écriture » en lui prodiguant un profond sentiment communautaire, une impression de partager la même histoire avec cet écrivain et ses personnages. Et il ajoute : « il me paraît utile de se tourner vers l’histoire de l’immigration de nos parents pour reconstituer la mémoire et construire un nouveau point de départ. […] Parler, écrire, montrer aujourd’hui, permet de régler les comptes avec des années d’amnésie qui ont marqué les débuts de l’immigration en France dans la période d’après-guerre mondiale mais également avant » (Begag, 1998, p. 9-12).

Les mémoires individuelles et plurielles que les textes véhiculent font de l’écriture migrante le moteur d’un travail de mémoire : mémoire de générations, de processus d’acculturation, mais aussi d’espaces urbains et périurbains dont certains disparaissent sous les assauts de la politique d’assainissement décidée par la société ou la ville d’accueil.

La mémoire de la rencontre et de l’apprivoisement de la ville

L’écriture migrante enregistre les différentes étapes du processus de rapprochement de la ville d’accueil, du moment de la première rencontre au successif apprivoisement de la ville. Des sentiments tels que la séduction ou le rejet, des représentations préalables, le poids de la mémoire du pays d’origine ou le regard vers l’avenir inhérent aux « horizons d’attente » (Courtemanche et Pâquet, 2001, p. 14) déterminent un mouvement et un rythme spécifiques dans le processus personnel d’intégration et d’identification avec la ville.

Dans Les lettres chinoises (1993), roman épistolaire de l’écrivaine d’origine chinoise Ying Chen, le personnage de Yuan exprime, dans une lettre à Sassa – restée à Shanghai –, l’intense émotion, le grand émerveillement qu’il ressentit lorsque, en survolant la ville de Montréal, il découvrit les lumières : « De splendides lumières de l’Amérique du Nord. Des lumières qu’on ne trouve pas chez nous. Je me croyais tombé dans un monde irréel. J’avais les yeux éblouis et le souffle oppressé, Sassa » (Chen, 1993, p. 11).

Dans l’exorde de Le figuier enchanté, Marco Micone présente ce « recueil hybride » comme l’évocation de « l’itinéraire d’un enfant qui foula la gadoue avant la névasse. Il crut longtemps que le reste du monde ressemblait à son village. Devenu adolescent, émigré malgré lui, il souhaitait que Montréal y ressemblât. Adulte, il est habité par une ville et par un village » (Micone, 1992, p. 13-14).

Parallèlement à la prise de conscience du chevauchement des espaces qui déterminent un rapport affectif et une lecture spécifiques de la ville d’accueil, l’écriture migrante permet d’observer comment le degré d’identification avec une ville d’accueil chez les acteurs migrants peut être différent de celui avec les valeurs de la société d’accueil, de l’État, du pays. En effet, la ville peut présenter des espaces d’ouverture, d’échange qui la rendent aimable, poreuse, créatrice de sociabilité et d’aménité ; ces espaces d’ouverture ou espaces-carrefours sont susceptibles d’équilibrer le bâti qui représente la mémoire d’un passé auquel les communautés migrantes n’ont pas participé et qui leur est donc étranger. Ainsi, dans Le figuier enchanté, le personnage de Manuela, après avoir exprimé une critique très amère de la société québécoise, qu’elle adresse à Anne, une Québécoise, déclare : « la vraie différence entre vous et moi, c’est que vous êtes plus québécoise que montréalaise, tandis que moi, je suis plus montréalaise que québécoise » (Micone, 1992, p. 106). Marco Micone, en entrevue, insiste sur le fait que Montréal « n’est pas écrasée par son histoire. Chacun de ses habitants a l’impression d’avoir contribué à la bâtir. Elle est protéiforme, en ce sens qu’elle s’est transformée tous les dix, quinze ans environ : il y a eu l’Exposition universelle en 67, les Jeux olympiques en 76, l’accueil des peuples et de réfugiés venus d’un peu partout sur la planète, etc. » (Cazelais et Chrétien, 2001, p. 25).

Dans le roman Passages d’Émile Ollivier, la ville de Montréal représente pour Normand Malavy, Haïtien exilé au Québec, une « ville d’accueil, ville creuset, ville qui joue à surprendre ! » (Ollivier, 1994, p. 70). Le boulevard Saint-Laurent est ainsi perçu comme « poumon de la ville, rue de la bigarrure, rue des accents et des odeurs » (Ollivier, 1994, p. 71).

Mémoire de la reconquête, du refoulement des immigrés

Si les textes que nous venons de citer reflètent le processus de rapprochement, de convergence entre les migrants et la ville d’accueil, d’autres textes reflètent – et dénoncent – la divergence entre le projet et la mémoire des immigrants et le projet et la mémoire que la politique urbaine tient à étaler.

Un texte très représentatif du divorce entre les acteurs migrants et la ville d’accueil est le roman de Minna Sif[7]Méchamment Berbère (1997). Ce roman évoque la lutte des habitants d’un immeuble, « l’immeuble du 7 boulevard des Dames » – situé dans le vieux quartier de la Porte d’Aix ou quartier Belsunce, à Marseille –, contre la pression de la municipalité de cette ville, qui envoie des machines à démolir et veut les contraindre à partir vivre dans des zones périurbaines. Ces habitants luttent héroïquement pour rester dans ce vieux quartier à forte population migrante, que la narratrice présente comme une « médina marseillaise, noyée par un flot continuel d’immigrés jaillis des bords de la Méditerranée » (Sif, 1997, p. 25). Pour eux, « partir s’exiler au fin fond d’une cité des quartiers nord » (Sif, 1997, p. 212) était perçu et vécu comme un second exil. Mais leur lutte n’aboutit à rien et la narratrice annonce : « Aujourd’hui, en lieu et place du défunt 7 boulevard des Dames, s’élève un gigantesque bâtiment aux larges baies vitrées, grouillant de secrétaires, et avec encore des drapeaux qui ornent la façade extérieure. Le Conseil Régional… C’est son nom » (Sif, 1997, p. 232).

Minna Sif, sur un ton engagé, témoigne, dans ce roman, de la vie de ce quartier et de la solidarité de ses habitants. Elle assume ainsi le travail de mémoire des quartiers immigrés et du processus de transformation d’un espace interdit par l’immigration – perçu comme étranger à l’intérieur de la cité – à un espace interdit à l’immigré, espace de refoulement (Témime, 1997b, p. 141). Elle répond ainsi à la question de l’historien dans Marseille transit : les passagers de Belsunce (Témime, 1997a, p. 18), à savoir : « Un monde sans mémoire ? ». Dans son livre, Témime montre comment, au XXe siècle, le quartier Belsunce est devenu un lieu de passage pour les migrants, qui finissent par s’installer durablement. Il souligne la façon dont ce quartier a été stigmatisé et comment une série de « littérateurs »[8] ont contribué, avec leurs textes imprégnés de mépris, à fixer une image stéréotypée et très négative de Belsunce : l’identification du quartier au souk, la malpropreté, l’insécurité, des traits qui justifient la méfiance et qui se métamorphosent en arguments en faveur du remodelage du quartier, du refoulement. Et il montre comment la politique de reconquête de Marseille vise à effacer, à oublier et à faire oublier l’étrangeté d’un monde né et vivant d’une immigration toujours renouvelée.

Fouiller des « non-lieux de mémoire »[9]

Certains écrivains migrants tiennent à exhumer la vie, la lutte, l’effort vécus par des communautés migrantes dans des espaces de ségrégation et de solidarité tels que les « bidonvilles » qui, après avoir abrité des Français déshérités, ont été occupés par des immigrés dans les années 1950 et 1960. Ce sont les écrivains Mehdi Charef et surtout Azouz Begag qui ont remarquablement dépeint des bidonvilles dans lesquels vivaient les immigrants algériens. Mehdi Charef, dans Le thé au haremd’Archi Ahmed (1983), évoque « le bidonville de Nanterre, rue de la Folie » comme « le plus grand, le plus cruel des bidonvilles de toute la banlieue parisienne. Des vraies favellas brésiliennes, le soleil en moins, sans la musique endiablée pour crier au secours » (Charef, 1983, p. 115).

Azouz Begag fait revivre, dans Le gone du Chaâba (1986), le Chaâba, bidonville de Villeurbanne, commune industrielle au nord-est de Lyon. Dans cette enclave algérienne, sorte d’îlot, les migrants ont reconstitué un entre-soi ainsi qu’une solidarité comme en témoignent les paroles du père du héros, Bouzid, qui, en regardant le bidonville, se dit : « Comment refuser l’hospitalité à tous ces proches d’El-Ouricia qui ont fui la misère algérienne ? » (Begag, 1986, p. 12). Cette société monoethnique, dans laquelle se tissent des liens basés sur l’hospitalité, trait culturel maghrébin, vit dans un habitat à « géométrie désordonnée », une « masse informe » : « Les baraquements s’agglutinent, s’agrippent les uns aux autres, […]. Un coup de vent brutal pourrait tout balayer d’une seule gifle » (Begag, 1986, p. 11). Du provisoire destiné à disparaître, si bien que, lorsque la plupart des Chaâbis commencent à quitter le lieu, ce qui reste du Chaâba est un « remblai de matériaux de construction pour bidonville » (Begag, 1986, p. 149).

Témoigner de la cohabitation dans les grandes villes, creusets de diversité[10]

Certains écrivains témoignent de la façon dont les migrants participent à des modes de cohabitation ethnoculturelle dans les grandes villes, associés à des manières particulières d’occuper l’espace et de construire des identités collectives (Germain, 2002, p. 121-134). Parmi eux, certains auteurs privilégient dans leur approche les interactions entre la communauté migrante et la société d’accueil, en essayant de décoder des indices d’ouverture ou de fermeture à l’Autre dans le paysage urbain. Ainsi, Leïla Houari, écrivaine d’origine marocaine vivant entre Bruxelles et Paris, fait dire à la narratrice de son roman Zeida de nulle part (1985) et à celle du premier texte du recueil Quand tu verras la mer (1988), leur attachement à Bruxelles, tissé de sentiments contradictoires : « Merveilleuse et monstrueuse ville qui me noie dans mes contradictions. […] Je ne peux me passer de toi et pourtant tu me fous le cafard avec tes fins de nuit au teint blafard […] Bruxelles la misérable, tu m’enveloppes de ta solitude pour me tenir compagnie. […] Je t’aime bien, tu sais ? » (Houari, 1988, p. 10). Les narratrices des deux textes sont choquées par les messages de rejet que les murs de la ville leur adressent : « sur les murs des graffiti lui rappelaient qu’elle n’était pas dans son pays » (Houari, 1985, p. 19)[11].

Dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, de Dany Laferrière (1985), le narrateur, jeune écrivain noir, manifeste à plusieurs reprises comment la croix du Mont Royal qui domine la ville de Montréal le dérange : « cette saleté de Croix », « cette saloperie de Croix » (Laferrière, 1985, p. 68 et p. 102). La hantise de cette image est associée à ce que cette immense croix métallique, installée par la société Saint-Jean-Baptiste, continue à s’imposer comme l’expression d’une identité spécifique même si entretemps Montréal est devenue un « laboratoire exemplaire de cohabitation », comme le rappelle Marco Micone (Cazelais et Chrétien, 2001, p. 25).

D’autres écrivains migrants centrent leur regard sur la cohabitation entre les groupes ethnoculturels ; c’est le cas de l’écrivain d’origine chilienne, Mauricio Segura dans son roman Côte-des-Nègres (1998), qui se déroule dans un quartier multiethnique de Montréal, Côte-des-Neiges. Le roman fait évoluer deux enfants appartenant à des communautés différentes, celle des Haïtiens et celle des Latino-Américains. Le passage de l’enfance à l’adolescence y entraîne l’évolution d’une sociabilité basée sur la solidarité, sur un mixage interethnique, à une sociabilité basée sur l’existence de gangs ou bandes révélant une segmentation ethnique des relations sociales (Germain, 1999, p. 9-32).

6. L’écriture migrante, moteur de réflexion

La problématique de la lecture ou de la lisibilité de la ville

Dans l’écriture migrante, l’écrivain en tant que lecteur d’une ville apporte le sens à la lisibilité, à la possibilité de la lisibilité (Roncayolo, 1997, p. 18). L’interaction entre ses horizons d’attente et son expérience migrante et prémigrante déterminent son regard sur la ville et même l’évolution de ce regard.

Émile Ollivier, dans « Propos d’un musard impénitent » (1988), propose une lecture de Montréal, associée à ses habitudes de fréquentation des espaces urbains précédents. Il y repère des facteurs qui « n’incite[nt] pas à la flânerie » tels que l’ « absence d’arcades » ou le fait que « Montréal n’habite pas le bord de son fleuve, orphelin de bateaux-mouches, de terrasses, de baignades et de promenades des Anglais » (Ollivier, 1988, p. 174-177). La ville de Montréal lui était apparue au début comme « sphinx aux énigmes impossibles à déchiffrer », et il avoue : « J’ai mis du temps à appréhender le sens de cette ville » (Ollivier, 1988, p. 176). Mais le mouvement inhérent à la lecture de la ville entraîne un mouvement d’appropriation qui tient compte de la mobilité et de la possibilité d’enracinement. Et il conclut : « Aujourd’hui, je connais sa richesse. Une simple virée m’offre la possibilité de franchir, en un temps record, plusieurs frontières, car je possède enfin l’aune pour mesurer ma dérive » (Ollivier, 1988, p. 176).

La ville : une voie d’affranchissement de l’acteur migrant

Marco Micone analyse, dans ses pièces de théâtre et dans Le figuier enchanté, la façon dont la ville peut constituer une voie de libération par rapport aux tyrannies du groupe ethnoculturel et aux rapports de proximité qui existent dans certains quartiers monoethniques ou dans ce qu’on appelle, à Montréal, « petites patries » (pour reprendre l’expression de Claude Jasmin). Marco Micone décrit dans « Baobabs » comment les immigrés italiens des années cinquante et soixante, qui avaient émigré d’un village de l’Italie du Sud à Montréal, étaient « accueillis avec méfiance sinon avec mépris » et comment « ils recherchèrent compréhension et soutien à l’intérieur de la communauté italienne où ils retrouvaient valeurs et mode de vie plus conformes à leurs attentes » (Micone, 1992, p. 88). Mais le processus d’agrégation résidentielle en vue de se retrouver entre soi (Germain, 2002), que Claire McNicoll désigne par l’expression de « confort culturel » (McNicoll, 1993, p. 277), mènera les immigrants italiens à une situation d’aliénation culturelle et de marginalisation : « Le quartier italien, qui devait être un lieu de transition facilitant l’adaptation au pays d’accueil, devint rapidement le fief de quelques baobabs dont l’étreinte commence à peine à se desserrer » (Micone, 1992, p. 88).

Dans la pièce de théâtre Gens du silence de Marco Micone, le quartier « Chiuso », où se sont concentrés des Italiens venus du milieu rural italien, apparaît comme un quartier étouffant, « le silence du vide et le vacarme du chaos. […] la révolte étouffée de l’homme ni d’ici, ni d’ailleurs » (Micone, 1991, p. 27). Le personnage de Zio lance un cri de liberté invitant les habitants à partir et à chercher le métissage libérateur propre à la ville : « Envole-toi avec moi ! Loin des gens du silence. Nous franchirons les murs de Chiuso pour nous unir aux gens d’ici qui nous ressemblent » (Micone, 1991, p. 52).

Les villes de re-naissance

Émile Ollivier, dans son récit « Propos d’un musard impénitent », citait, en exergue, une phrase de Paul Nizon : « Cette ville glaciale te tuera ou te ressuscitera… » (Ollivier, 1988, p. 174). Naïm Kattan, dans Les villes de naissance (2000), et à partir de sa propre expérience, réfléchit sur la façon dont un migrant choisit une ville, la rend sienne, et associe cet espace urbain aux balises de son propre itinéraire personnel. Il y analyse le rapport entre la ville d’accueil et la mémoire, et il expose sa perception d’un emboîtement des différents paysages urbains vécus dans ceux de la ville choisie :

Une ville est un lieu physique quand on doit braver la chaleur ou le froid. Elle nous habite autant que nous l’habitons. […]. Je choisis mon paysage comme j’ai choisi ma ville. Au-delà du paysage, une ville grandit en nous, prend de l’âge. Que reste-t-il aujourd’hui de la ville où j’ai débarqué ? Ni les rues ni les façades des maisons ne sont les mêmes. Puis, je me promène et toutes les villes surgissent de l’ombre. À l’intérieur de Montréal, ma ville, toutes les autres viennent me rejoindre. C’est ici l’ailleurs.

Kattan, 2000, p. 95 et p. 97

Selon Pierre Lassave, « la littérature constitue pour les sciences sociales, en tout ou partie, un corpus de données, une ressource cognitive et un modèle d’énonciation » (Lassave, 2002, p. 37). La littérature contribue depuis longtemps non seulement à refléter mais aussi à construire la polyphonie des discours urbains, où la voix de « je » est constamment traversée par la voix de l’ « autre », le « je » ne pouvant s’empêcher d’emprunter, de prendre la place, de parler avec, pour, contre l’ « autre » (Mondada, 2003, p. 13). La littérature est un espace privilégié de description, d’invention d’images, de représentations et d’interprétations de la ville. Elle joue un rôle majeur dans le travail d’« imaginer, dire et faire la ville »[12] auquel participent les concepteurs, les « faiseurs de villes », les usagers et les « lecteurs » de la ville, historiens, sociologues, philosophes et écrivains.

« Littérature, voilà le fin mot qui fait exister une ville », dit Nicole Brossard, qui pense Montréal comme « une série de livres dans le temps ; ici Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy ; ici laGrosse femme d’à côté est enceinte de Michel Tremblay, ici la ville en prose de Yolande Villemaire, les stars urbaines de Claude Beausoleil et mon French kiss des années 70 » (Brossard, 1988, p. 42).

Il y a toujours eu entre la littérature et la ville des liens de réciprocité et d’échange. La ville est maintenant, dans son développement, un lieu où se nouent par excellence les enjeux contemporains (Resche-Rigon, 2003, p. 62-63), et le regard et la réflexion des écrivains agissent comme révélateurs et comme fixateurs des images de l’évolution sociale. Au Québec, par exemple, la ville s’est avérée essentielle dans la construction de l’écriture au féminin : adhérer à l’identité urbaine a été l’une des voies de transgression des écrivaines féministes de la décennie 1970. Des textes comme « Ste-Urbaine-la-Villaine » de Louky Bersianik, « La Femme et la Ville » (1981), ou French kiss, étreinte / exploration (1974, 1980) de Nicole Brossard sont représentatifs de la fusion ou de la confusion entre ville et corps féminin, la ville devenant chair (Mata Barreiro, 2003a, p. 243).

Les écritures migrantes véhiculent et rendent visibles les images, les pratiques discursives, les représentations et les interprétations de la ville des acteurs migrants, dont les écrivains. La littérature migrante permet de voir, de l’intérieur, le processus d’acculturation, la construction de l’identité migrante et de l’identité urbaine. Elle permet donc d’approfondir l’analyse des processus d’acculturation qui, d’après Sélim Abou, constitue un domaine difficile à explorer, car « les processus d’acculturation […] ne peuvent être saisis qu’au terme de recherches prolongées, à travers des documents souvent indirects […] ou difficiles à obtenir » (Abou, 1981, p. 83-84).

Approcher l’écriture migrante de plusieurs aires francophones – européennes et américaines – permet de cerner, d’une part, les représentations des espaces urbains et périurbains – tels que les banlieues, les quartiers multiethniques – de l’intérieur. Cette approche permet parallèlement d’analyser la coexistence et l’interaction entre la création-fiction et la réflexion, chez certains écrivains et écrivaines, qui nous apportent leur regard sensible, l’émotion de leur vécu, leur analyse – souvent critique – sur les questions de l’immigration, de l’exclusion, de l’intégration et leur effort pour faire cohabiter différentes clés de lecture du monde urbain, nourries par des univers culturels autres, étrangers à la rationalité de l’homo economicus (Begag, 2002, p. 73). Ils et elles font entendre leur volonté de restaurer et de valoriser la mémoire des migrants qui ont contribué à l’enrichissement économique et culturel de la société d’accueil de même que la mémoire des lieux et des « non-lieux de mémoire ». Leur analyse est non seulement enrichissante pour l’étude culturelle, anthropologique et sociologique de la ville, mais elle a une dimension politique et contient des propositions d’action.

Dans une dimension politique et éthique, écouter les voix des écrivains-acteurs migrants, découvrir leur regard, en tant que passeurs culturels, sur la ville peut aider les sociétés actuelles à recomposer la mémoire collective et à bâtir une société qui s’engage dans le métissage et qui sait prévenir les risques d’anomie et d’exclusion, qui sait gérer la préoccupation de l’identité et de la mémoire – préoccupation si importante dans la société québécoise – ou le risque de déficit de citadinité – problème existant dans les sociétés européennes occidentales.