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Publié par Fides en petit format cartonné, papier fin et menus caractères — avis aux presbytes comme moi qui y apprendront si une nouvelle ordonnance s’impose — et d’une qualité remarquable, L’AnnuaireduQuébec2003 propose, en ses propres termes, « toute l’année politique, sociale, économique et culturelle ». De la perspective politologique qu’il privilégiait à l’époque où le gérait le département de science politique de l’Université de Montréal, il est devenu au fil des ans cette encyclopédie incontournable, nécessaire et accessible aux lecteurs de la communauté scientifique au profil pluridisciplinaire.

L’ambitieux ouvrage propose une structure logique qui accommode tous les champs : mutations sociales et enjeux de société, une chronologie de juillet 2001 à juin 2003, un état du Québec en capsules documentaires et statistiques mises à jour, divers chapitres portant respectivement sur les conditions de vie, le territoire et ses régions, l’économie, la vie politique, la culture et les médias, enfin le Québec, le Canada et le monde.

À tout seigneur tout honneur, l’apport des politologues est remarquable et avance de provocantes hypothèses. Si Joseph Yvon Thériault hésite à prendre parti dans le débat encore nébuleux sur le projet de refondation de la citoyenneté québécoise pour faire une place à sa diversité grandissante en page 27, Alain-G. Gagnon n’a rien perdu de sa verve pour ironiser en page 41 à propos des empiètements d’Ottawa sur maints champs de compétence provinciale, le style Jean Chrétien aidant, comme de bien entendu. Là où Yves Boisvert voit en page 46 un glissement éthique dans l’évolution des moeurs politiques, Michel Venne flaire le nauséabond mélange de l’argent et des affaires publiques en page 477. Louis Massicotte ne fait pas mystère de son impatience grandissante (p. 488) devant les atermoiements de la réforme du mode de scrutin, écorchant au passage les intérêts bassement électoraux de quelques-uns, qui font obstacle à la nécessaire transparence démocratique. De la patience, il en faudra aussi à François Rocher avant de voir le Québec de Jean Charest accoucher d’une nouvelle constitution (p. 485). Du côté des prophètes de malheur, Jean Crête (p. 500) invite à prendre très au sérieux le programme des partis et notamment les réformes proposées par l’agenda libéral provincial. Les événements présents ne lui ont pas donné tort. Par contre, dans la cohorte des Cassandre malchanceux, la conjoncture exceptionnelle qui, chez Michel David (p. 494), aurait fait un tapis rouge au projet de l’ADQ, n’a pas joué. Comme d’autres, j’accuse la stratégie électorale de Jean Charest d’avoir tiré de sous les pieds de Mario Dumont ladite carpette, faisant choir de tout son long notre jeune croisé néo-conservateur. Ça joue dur, dans le cercle étroit des « réformateurs » du modèle québécois.

Dans l’Annuaire, se détache notablement la contribution des géographes, surtout ceux de l’Université Laval, dévoués aux recherches régionales. Leurs nombreux articles étoffent un domaine négligé de notre corpus québécois. Saluons les belles études de cas de Bruno Jean (p. 231), de Charles deBloisMartin (p. 241), de Claude Comtois et Jean-François Cappuccilli (p. 256) qui font le point sur les problèmes des banlieues et des campagnes, de transport individuel et collectif, de crise du logement, etc. J’ai aimé la piquante analyse des heurs et malheurs de l’aéroport Mirabel par Yvon Bigras, microcosme de toutes nos incohérences bureaucratiques (p. 260).

Des études économiques par Germain Belzile, Jean-François Saillant (p. 399), et Nicolas Marceau (p. 426), moins étoffées m’ont-elles semblé que les champs précédents, il se dégage deux thèmes d’intérêt majeur : le déséquilibre fiscal qui grève les finances publiques et la croissance fulgurante de nos relations d’échange avec l’oncle Sam. Le premier est peut-être dû aux attitudes de confrontation entre paliers de gouvernement et pourrait se rectifier. La seconde est de nature structurelle et s’amplifiera avec le temps. On le savait déjà mais il est confirmé que 55 % du produit intérieur brut du Québec en 1999 provient de nos exportations, un chiffre supérieur à la moyenne canadienne. Quand on pense qu’il y a à peine quarante ans, l’horizon de notre société se réduisait à l’ombre tutélaire de ses clochers paroissiaux ! Inutile après cela de se demander où devra porter la priorité de nos relations extérieures, en particulier commerciales, comme le suggère Robert Dutrisac (p. 664). De là à prôner l’adoption du dollar américain comme monnaie, il n’y a qu’un pas que tente de mesurer avec prudence Martin Coiteux en page 459. Parions avec lui qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Des dossiers épineux ont connu en 2002 un heureux dénouement. On pense à la signature de la Paix des Braves avec les Cris et les Innus, comme le rappellent fort à propos Germain Belzile (p. 437) et Mario Cloutier (p. 527), en vue d’un développement anticipé des ressources du Moyen-Nord. Par contre, des tensions persistent et s’aiguisent dans ce portrait somme toute optimiste de notre société. D’abord, comme le soulignent Marc Ouimet et Paul-Philippe Paré (p. 540), la réforme de la sécurité publique n’est pas achevée. La lutte contre le crime organisé est loin d’être gagnée. De leur côté, Mona-Josée Gagnon (p. 544) et André Giroux (p. 553) déplorent l’anémie de l’économie sociale, l’asphyxie des garderies et la place congrue du mouvement syndical dans un projet social dont les orientations sont de plus en plus dictées par la mondialisation à la « nord-américaine ». Vive l’essor économique, bien sûr, mais il n’y en a pas pour tout le monde. Yves Frenette (p. 382) est témoin de la lente agonie de la péninsule gaspésienne. Même constat au Saguenay chez Camil Girard (p. 364), au Bas-Saint-Laurent avec Antonio Lechasseur (p. 358), avec des nuances propres à chacune de ces régions. Dans la dynamique d’échanges impulsée par l’ALÉNA, ce sont les régions frontalières qui progressent, en démographie et en richesse. Dans les zones métropolitaines, le clivage s’accroît entre les gagnants du modèle, les hauts-diplômés et les polyglottes, et les perdants sous-scolarisés unilingues dont le sort peu enviable est évoqué avec intelligence par Anne Motte et Carole Vincent (p. 180).

Si elles s’avèrent utiles pour saisir les tendances du monde de l’éducation, les recherches proposées ne donnent pas la pleine mesure du marasme qui règne dans ce secteur. L’intéressant article de Yves Gingras (p. 608) sur l’essor des chaires de recherche et ses conséquences sur la perte d’autonomie des universités intéressera les initiés du milieu, frileux d’ingérence fédérale. Maurice Tardif aborde (p. 613) sur le thème de la création d’un ordre professionnel des enseignants un enjeu pour lequel je n’entreprendrai pas une grève de la faim, tout enseignant que je sois.

Tout le monde sait, surtout dans la francophonie, que le Québec carbure à sa culture et à ses médias. Encore faut-il, rappelle Yves Brousseau en page 635, que Le Cid de Corneille ne cède totalement la place aux dérives mercantiles du monde médiatique. Il faut dire qu’après les Dubé, Loranger et autre luminaires de la culture outremontoise, Les Belles-Soeurs joualisantes de Michel Tremblay ont ouvert une piste de ski où glissent aujourd’hui avec allégresse les « Beaux ados » de la télé-réalité. Et puis, quoi encore, s’exclamerait Marie-France Bazzo !

Je souligne l’excellent travail de sélection et d’édition réalisé par l’équipe de l’Annuaire. On a beau chercher, on ne voit ni coquille, ni incorrection de syntaxe, ni jargon disciplinaire trop apparent. On a fait un effort notable pour harmoniser le style des auteurs. Une belle production qui se lit bien, lunettes au nez compte tenu du format. Mais le genre a le défaut de sa qualité : vibrant d’actualité, il fane aussi vite que la rose une fois éclose, comme disait Ronsard. Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage. Il en vaut la peine.