Comptes rendus

Jean-Claude Picard, Camille Laurin. L’homme debout, Montréal, Boréal, 2003, 508 p.[Notice]

  • Simon Langlois

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  • Simon Langlois
    Département de sociologie
    Université Laval

Camille Laurin a été un acteur politique important à deux grands moments de l’histoire du Québec, d’abord au début de la Révolution tranquille puis sous le premier gouvernement Lévesque. Il méritait donc qu’un professeur journaliste de talent passât cinq années à éplucher les archives et à interviewer quelques centaines de témoins afin de reconstituer sa vie, ce qui a été fait de manière superbe. Cet ouvrage s’ajoute à d’autres biographies récentes de grands personnages – un genre littéraire qui a maintenant acquis ses lettres de noblesse dans notre littérature – qui enrichissent la sociographie de la seconde moitié du XXe siècle québécois considéré du point de vue des acteurs sociaux. Jean-Claude Picard retrace de manière fine et intelligente toute la vie du docteur Laurin, depuis l’enfance à Charlemagne jusqu’à l’âge d’homme, les premiers engagements sociaux et professionnels, la vie politique, les déceptions de fin de carrière, les amours et la vie familiale difficile du psychiatre politicien. Le biographe aborde la vie remplie de Laurin avec empathie mais sans complaisance et son livre est bien documenté à partir de sources primaires et d’entrevues effectuées avec les proches et les collaborateurs du célèbre médecin. Laurin fait partie de la première véritable génération instruite au Québec, celle qui, de retour des USA et d’Europe, allait animer la modernisation des institutions d’une société déjà urbanisée et entrée de plain-pied dans la société de consommation. La biographie décrit bien les conditions de vie modestes de la famille Laurin qui vivait en banlieue de Montréal. Ce que le biographe rapporte sur la pratique de la religion (sans bondieuserie), sur le rôle de la mère, sur la consommation marchande naissante et sur la débrouillardise professionnelle du père constitue une belle pièce de sociographie de la famille et des modes de vie du Québec des années 1920 aux années 1940. Sans le dire dans ces termes, le biographe illustre dans cet ouvrage le décalage qui existait au Québec à cette époque entre les modes de vie quotidiens d’un côté et les institutions et idéologies dominantes de l’autre, décalage souligné par plusieurs analystes des sciences sociales. Camille Laurin est l’un de ceux qui, par son action professionnelle et politique, aura contribué à l’éliminer parvenu à l’âge adulte. Le docteur Laurin a d’abord travaillé à la réforme des institutions québécoises au début de la Révolution tranquille à titre de psychiatre et de directeur de l’Institut Prévost, un hôpital psychiatrique de la région de Montréal, après son retour de Boston et de Paris où il avait étudié jusqu’à l’âge de 35 ans. Arrivé avec des idées nouvelles, sa contribution à la réforme des soins en matière de santé mentale a été remarquable à une époque où l’on enfermait les fous (selon l’expression du temps) et où les malades mentaux représentaient environ la moitié des personnes hospitalisées ou vivant en institutions, une proportion considérable. Sa préface du livre témoignage Les fous crient au secours (1959) qui a marqué son époque a donné une légitimité à ce cri du coeur d’un patient. Passé en politique, le docteur Laurin s’est joint aux premiers leaders du Parti québécois naissant qui, au tout début des années 1970 et jusqu’en 1976, parcouraient des centaines de kilomètres pour jeter les bases de l’organisation dans tout le Québec et consacraient presque tous leurs temps libres à l’action militante. Il a été un militant engagé et il a accompagné de près les Jacques Parizeau et René Lévesque qui ont mangé leur pain noir pendant ces premières années d’existence du parti qui les a finalement menés au pouvoir ; son adhésion dès les premières heures a contribué à donner une …