Comptes rendus

Diane Saint-Pierre, LaPolitique culturelle du Québecde 1992 : continuité ou changement ? Les acteurs, les coalitions et les enjeux, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2003. (Management public et gouvernance.)[Notice]

  • Christian Poirier

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  • Christian Poirier
    Département de science politique,
    Université Laval.

Le secteur culturel a fait l’objet d’analyses variées et fouillées qui se sont toutefois majoritairement concentrées sur les oeuvres culturelles produites. La recherche sur les politiques culturelles et, de surcroît, sur la genèse et l’élaboration de ces politiques – travaux florissants sur le continent européen – demeure très peu explorée au Québec et au Canada. Plusieurs raisons pourraient être avancées pour tenter de comprendre ce phénomène mais il n’en demeure pas moins que, malgré les invitations lancées successivement par John Meisel, Stephen Brooks ou Vincent Lemieux, la science politique a été traditionnellement quelque peu réticente à considérer le secteur culturel comme terrain légitime d’investigation. Analysant les relations et rapports de force qui se sont tissés entre de nombreux acteurs politiques dans le cadre de ce qui est devenu la première véritable politique culturelle du Québec (adoptée en décembre 1992 par le gouvernement de Robert Bourassa), ce livre s’inscrit donc dans une démarche novatrice et comble une lacune évidente. Trois parties structurent l’ouvrage. La première est consacrée à l’exposition de la problématique de recherche, la seconde aborde l’émergence de la politique culturelle et la politisation croissante de la culture au Québec tandis que la troisième se penche sur l’élaboration et l’adoption de la politique. La problématique est d’abord marquée par le souci d’examiner tant les comportements et intérêts des acteurs en présence que leurs systèmes de croyances et l’ensemble des référents discursifs qu’ils mobilisent au gré de leurs interactions. Des éléments tant cognitifs que non cognitifs cohabitent ici de façon fort judicieuse. Le cadre d’analyse choisi est celui des coalitions plaidantes (Advocacy Coalition Framework) élaboré par Paul A. Sabatier et Hank C. Jenkins-Smith, que Diane Saint-Pierre explique et synthétise de façon éclairante. Mais ce n’est pas tout d’utiliser un modèle théorique ; encore faut-il savoir l’appliquer empiriquement, ce qui est réalisé ici de façon convaincante. Cette approche possède de nombreux avantages, dont celui de tenir compte du contexte tant économique que sociopolitique entourant l’élaboration de la politique : « Le débat constitutionnel déchirant qui perdure depuis le début des années 1980 et qui ravive plus que jamais la flamme nationaliste d’une majorité de Québécois, les traités de libre-échange, la mondialisation des marchés et les inquiétudes croissantes quant au devenir de l’État-providence imposent le maintien et même l’accroissement de la présence gouvernementale dans la sphère culturelle » (p. 167). Est ainsi démontré comment la politique culturelle est étroitement liée au débat sur l’avenir politique du Québec et de quelle façon la culture devient un élément clé de la « société distincte ». La culture n’est plus seulement un secteur des politiques « parmi d’autres » mais fait dorénavant partie des grandes missions de l’État québécois. En conséquence, le ministère se voit doté du rôle de responsable des grandes orientations culturelles (et non de simple gestionnaire de programmes) et de la fonction de coordination horizontale avec les autres ministères et acteurs pertinents. Un autre avantage du cadre d’analyse utilisé est de tenir compte de toutes les dynamiques de négociation et de conciliation des intérêts divergents entre des acteurs susceptibles de ne pas partager les mêmes univers de sens quant aux finalités de la politique et au rôle de l’État dans le secteur culturel. On cerne bien, quoique de façon inégale selon l’acteur politique en question, comment les différents groupes d’intérêt du milieu culturel se sont organisés et consolidés et quelles stratégies ils ont mises en place afin de faire valoir leurs intérêts. Toute la diversité des acteurs en présence est pertinemment explorée (ministères, sociétés d’État, gouvernement fédéral, municipalités, groupes, associations, milieux des affaires, différents domaines culturels, fonctionnaires, ministres, experts, journalistes, etc.) …