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Comme Michel Marie le remarque dans sa préface, Pour un cinéma léger et synchrone ! est un livre qui s’aventure sur le territoire encore peu fréquenté de l’histoire des techniques et de leurs diverses médiations. Il revient à Vincent Bouchard le mérite d’avoir signé un ouvrage à la fois original et synthétique, fruit d’une enquête plurimodale où étaient aussi bien à l’étude des films et des dispositifs que des documents de première main. La lecture a cet effet d’entraînement nous permettant, chose rare, de penser autrement le cinéma. Le présupposé de l’auteur est le suivant : pour mener une enquête sur un dispositif cinématographique – en l’occurrence le cinéma direct des techniques légères et synchrones de la fin des années 1950 et du début de la décennie suivante –, il est nécessaire de s’autoriser une conception plus large et plus hétérogène du médium et, par le fait même, des discours que l’on peut tenir sur ce champ esthétique. Attentif comme rarement l’est un chercheur aux rapports de force qui circulent entre l’instauration cinématographique de l’Office national du film (ONF) et les différentes strates et valeurs de la société québécoise de cette époque, Bouchard en vient à montrer de quelle manière des cinéastes issus des horizons les plus variés comme peuvent l’être Gilles Groulx, Michel Brault et Marcel Carrière, Claude Jutra et Pierre Perrault ont, de film en film, par des pratiques nouvelles, posé des questions originales au médium cinématographique et ont ressenti la nécessité d’aller à la recherche de nouveaux dispositifs pour tourner les oeuvres que le contexte (social, politique, anthropologique) exigeait. Le meilleur exemple de cette extrême contemporanéité du médium et des pratiques cinématographiques avec les actants d’un milieu donné est Pour la suite du monde (1963), chef-d’oeuvre reconnu de la cinématographie québécoise sur lequel, nous le prouve à plusieurs reprises Pour un cinéma léger et synchrone !, il est encore possible de produire un discours critique novateur.

Sensible à la non-linéarité de la constitution d’un médium cinématographique léger et synchrone, ainsi qu’à l’impossibilité de penser le cinéma de l’ONF sans être également soucieux de ce qui se passe dans la société, Bouchard propose non seulement un grand livre sur le cinéma, mais aussi un grand livre sur la négociation. L’intérêt de son travail est en effet de montrer en quoi l’originalité des films de l’ONF, au-delà du rapport singulier entre documentaire et fiction qui les caractérise, réside dans la constante négociation entre leur dispositif de production et la réalité filmée (p. 200 et suivantes). Aujourd’hui célébré à la fois comme le début et l’âge d’or du cinéma québécois (la plupart des films de l’ONF de cette époque jouissent toujours d’une renommée cinéphilique internationale), le cinéma léger et synchrone de l’ONF ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais patiemment, de médiation en médiation, d’hybridation en hybridation. Dans son ouvrage, Bouchard nous raconte non seulement une épopée cinématographique qui en passionnera plus d’un, mais nous offre également la réfraction d’une société qui n’a jamais cessé de questionner le cinéma et de se laisser interroger par lui. Leur relation est donc elle-même synchronique.