Comptes rendus

Marcel Trudel, Deux siècles d’esclavage au Québec, (suivi du Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires au Canada français (sur CD-ROM], 490 p.), Montréal, Hurtubise HMH, 2004, 405 p. (Cahiers du Québec, Histoire.)[Notice]

  • Daniel Gay

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  • Daniel Gay
    Professeur retraité de sociologie,
    Université Laval.

Enfin, la bibliographie utilisée par l’auteur de L’Esclavage, et qui servira aussi, dans une large mesure, pour rédiger le Dictionnaire, est impressionnante. Elle regroupe les sources manuscrites puisées tant dans les archives publiques que privées, les sources imprimées, les inventaires et les dictionnaires, les études spéciales sur l’esclavage au Canada français et ailleurs, et les ouvrages divers. Quant au Dictionnaire, il peut être considéré à la fois comme le complément et le prolongement de L’Esclavage. Il ne reprend pas l’historique de l’ « institution servile » au Canada français mais il étaye de façon compétente certaines des propositions contenues dans LEsclavage, et tente d’articuler un nombre considérable d’informations, lesquelles permettent la constitution d’un dossier biographique, d’une part, sur les esclaves amérindiens et les esclaves noirs, et, d’autre part, sur leurs propriétaires. Marcel Trudel montre, par exemple, que l’esclavage a existé au Canada français (ou au Québec), pendant quelque cent vingt-cinq ans ; que l’esclavage légal est fondé sur l’autorisation accordée par Louis XIV, le 1er mai 1609, en réponse notamment au « long plaidoyer […] pour réclamer une cargaison de nègres » (L’Esclavage, 1960, p. 29) ; que, parmi les raisons avancées pour justifier ces demandes, figurent la culture du chanvre ; le défrichement des terres et l’élevage ; la résolution du problème social que constituent les parents devenus invalides ou qui sont sans enfants ; la participation éventuelle des Noirs à la défense militaire de la Nouvelle-France ; la possibilité de maîtriser la cherté de la vie en comptant sur une main-d’oeuvre gratuite ou bon marché ; et l’occasion pour les femmes esclaves de concourir au bien-être, y compris l’instruction, des enfants, en l’absence de leurs parents partis pour la guerre ou préoccupés par le commerce ou les voyages. Une autre donnée importante de L’Esclavage et du Dictionnaire est la présence, parmi les Québécois de souche, les immigrants, les Amérindiens et les Noirs, de métis et de mulâtres. On ne devrait pas sous-estimer non plus l’analyse convaincante de Trudel relative à la contribution multiple des Amérindiens et des Noirs à une certaine diversification ethnique du peuple québécois et au développement de la société, tant des points de vue politique et économique que culturel. Il est regrettable que les démographes et les sociologues n’aient pas jugé bon d’exploiter ce filon pour mieux cerner l’évolution multiple de celle-ci, notamment, celle des conduites harmonieuses et conflictuelles. Il y a lieu de se réjouir de ce que, dans l’édition de 2004, Trudel ait eu à se départir, quoique de façon incomplète, de certains aspects racistes du langage des premières éditions. Par exemple, l’expression « petite sauvagesse » est remplacée par « petite Amérindienne », « les sauvages » deviennent « les Amérindiens » et le mot Noir est utilisé au lieu de nègre. De même, certains jugements très discutables ont disparu. Ainsi, « [le nègre] rêve manifestement d’égaler le Blanc » ou encore « […] nous sommes convaincus que le nègre a beaucoup plus de fierté que le sauvage » (L’Esclavage, 1960, p. 252 et 2004, p. 248). Il va de soi que la désignation d’un groupe, qui se trouve dans une situation d’assujettissement, n’est pas neutre. Elle est un des privilèges des détenteurs du pouvoir. Un jugement, qui ne rallie pas tous les suffrages, se rapporte à « l’air d’humanité » que Trudel croit percevoir dans « notre esclavage », c’est-à-dire l’esclavage canadien-français et catholique, par rapport à celui pratiqué dans d’autres pays. Ce thème de la supposée spécificité culturelle de l’esclavage surprend. On peut en dire autant de celui …