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Avec un titre accrocheur comme Les meurtriers sexuels, une image vient rapidement à l’esprit du lecteur, celle d’un Ted Bundy, du meurtrier sexuel en série souvent relayée par les médias de masse. Or, et c’est sans doute là l’une des plus belles réussites de l’ouvrage, les auteurs démystifient d’entrée de jeu cette image du meurtrier sexuel agresseur en série. Grâce à un échantillon représentatif constitué de 40 des 57 meurtriers sexuels de femmes incarcérés au Québec entre 1998 et 1999 (période de la collecte de données), les universitaires constatent, contrairement au sens commun, que les meurtriers sexuels sériels sont plus que rarissimes : aucun cas révélé dans leur échantillonnage.

Cette démonstration pertinente n’était toutefois pas l’objectif principal des auteurs en rédigeant ce livre. Le but de l’étude consistait, à l’aide de nombreuses analyses statistiques, à montrer les distinctions et les similitudes entre les meurtriers sexuels de femmes et les agresseurs sexuels de femmes (violeurs). Aussi, le premier chapitre présente la problématique de la recherche et justifie sa pertinence en mettant en lumière les limites méthodologiques des autres études sur le sujet. Tout d’abord, les auteurs constatent le peu d’études comparatives et l’absence de définition claire de ce qu’est un meurtre sexuel. Ils en profitent pour préciser qu’un meurtrier sexuel est un individu reconnu coupable d’un homicide impliquant une activité sexuelle à la base d’une séquence d’actes conduisant à la mort. Ils présentent ensuite brièvement différentes théories qui tentent d’expliquer les homicides sexuels en mettant en lumière les limites de chacune d’elles. Force est alors de constater que trop souvent la population analysée est restreinte ou que les variables prises en compte s’avèrent minimales pour des analyses comparatives concluantes. Afin de remédier à ces lacunes empiriques, les auteurs accordent une grande importance à la composition de leur échantillon de recherche. C’est donc 70,7 % de la population des meurtriers sexuels de femmes emprisonnés au Québec (1998-1999) qui a été analysée et comparée à 101 agresseurs sexuels de femmes.

Dans les chapitres 2 à 8, les auteurs présentent les différentes analyses statistiques utilisées pour circonscrire le meurtrier sexuel. Très pédagogiques, les chapitres sont tous construits selon la même architecture. Une brève revue de littérature commentée rappelle initialement les limites de recherches antérieures. Cette dernière est suivie d’une problématique qui énonce clairement l’objectif du chapitre et l’hypothèse avancée. Viennent ensuite la méthodologie préconisée, la description des résultats et une interprétation de ceux-ci. Enfin, en règle générale, un modèle empirique et quelques cas « types » sont proposés.

Les premiers chapitres comparent le meurtrier sexuel à l’agresseur sexuel. Le chapitre 2 veut vérifier si « une trajectoire développementale plus perturbée et une carrière criminelle plus intense mènent à un délit de gravité supérieure (meurtre sexuel versus viol) ». Bien que ce chapitre ne prenne pas en compte les « trajectoires développementales dites chaotiques » d’un groupe témoin constitué de « non-criminels » ou, comme le soulignent eux-mêmes les auteurs, de délinquants non sexuels, certains résultats sont intéressants, particulièrement celui qui rappelle que la « trajectoire criminelle des violeurs et des meurtriers sexuels est davantage composée de délits non sexuels » (p. 53). Le chapitre suivant porte sur les caractéristiques psychopathologiques de ces deux groupes de criminels violents. Peu de différences semblent les départager. Le très intéressant chapitre 4 s’attarde pour sa part, non plus à déterminer la prévalence d’un quelconque facteur psycho-biologique de la criminalité, mais plutôt à comprendre l’interaction entre les acteurs et les situations particulières auxquelles ils sont confrontés. Par l’étude du déroulement du crime, les auteurs cherchent ainsi la rationalité dissimulée derrière ces meurtres généralement perçus comme irrationnels. On y apprend en outre que le meurtre sexuel est souvent le résultat d’un « accident » ou d’une escalade. En corollaire, le lecteur doit comprendre – cela n’étant pas explicitement mentionné – que le meurtrier ne peut plus être évalué par des experts tous azimuts qui chercheraient à déterminer la nature de son état pathologique, mais bien jugé pour ses actes. Fort heureusement car cette volonté thérapeutique vient invalider la capacité juridique du sujet en le reléguant dans la catégorie des non-libres et des irresponsables, ce qui le soustrairait aux champs des droits et des devoirs pour qu’il relève du champ médical, considéré comme alternatif au champ juridique (Zennoni, 1990, p. 131). Finalement, les analyses multivariées du chapitre 5, qui mettent en commun les résultats précédents, semblent appuyer l’hypothèse selon laquelle « les conditions dans lesquelles se déroule le crime ont un rôle déterminant dans l’escalade du viol au meurtre sexuel » (p. 149). Très axé sur les analyses et les descriptions statistiques, ce chapitre s’adresse principalement aux férus de méthodes quantitatives.

Dans les chapitres suivants, les auteurs veulent distinguer les différents types de meurtriers sexuels et éclaircir certaines idées préconçues. Ainsi, contrairement à la croyance populaire, les meurtriers sexuels sériels sont inhabituels et surreprésentés dans plusieurs échantillons de recherche, et le sadique sexuel est lui aussi un personnage assez rare chez les agresseurs sexuels. Suit le chapitre 8 qui, à l’aide encore une fois d’analyses statistiques multivariées et de l’observation du scénario délictuel, présente les deux principaux types de meurtriers sexuels : les colériques et les sadiques.

C’est finalement au chapitre 9, qui fait en quelque sorte office de conclusion aux chapitres précédents, que les auteurs tentent d’expliquer les raisons qui poussent les meurtriers sexuels à agir de la sorte et cherchent à déterminer s’il y a « un lien entre la carrière criminelle du meurtrier et son meurtre » (p. 233). Délaissant les analyses quantitatives prisées tout au long du livre au profil de l’approche narrative, les auteurs font deux principaux constats : 1) régulièrement, le meurtre sexuel est le résultat d’un instant de rage accompagné ou suivi d’une agression sexuelle ; 2) la plupart des meurtriers incarcérés (il n’est pas inutile de le rappeler) ont un passé criminel varié, ce qui, à tort ou à raison, laisse sous-entendre qu’ils seraient des récidivistes « réagissant de manière explosive aux frustrations ».

Les derniers chapitres contrastent légèrement avec le reste du livre étant axés sur le travail policier. Ces deux chapitres s’avèrent très intéressants tant pour le néophyte que pour le policier. Alors que le chapitre 10 s’attarde au profilage des meurtriers sexuels, le chapitre 11 se concentre sur l’interrogatoire policier. Le chapitre 10 est particulièrement agréable à lire, resplendissant de clarté grâce à une bonne revue de littérature commentée et surtout, critique à l’égard de ces techniques judiciaires.

Le plus grand mérite du livre est l’approche globale de l’objet d’étude et le regard que les auteurs portent sur les études antérieures et les limites de leurs investigations. Le lecteur qui s’intéresse pour la première fois à ce sujet fascinant découvrira une revue de littérature pertinente. L’ouvrage a également le mérite d’offrir un aperçu général des théories biologiques, psychologiques, sociohistoriques ou criminologiques sur ce sujet encore peu conceptualisé. Aussi, sans jamais s’y attarder spécifiquement, ce livre permet de constater à quel point plusieurs études sur les meurtriers sexuels portent encore un regard très déterministe, voire biologisant sur la criminalité. À cet égard, il aurait été utile de comparer certaines des données recueillies (isolement social, faible estime de soi, fantasmes sexuels, etc.) avec un groupe témoin de « non-criminels » ou de criminels « en col blanc », histoire que certains ne soient pas tentés de répéter les erreurs de Lombroso en utilisant à tort les résultats de cette recherche.