Comptes rendus

Susan Mann, Lionel Groulx et L’Action française. Le nationalisme canadien-français dans les années 1920, Montréal, VLB, 2005, 193 p. (Études québécoises.)[Notice]

  • Jean-Jacques Simard

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  • Jean-Jacques Simard
    Département de sociologie,
    Université Laval.

L’irremplaçable Robert Comeau n’en finit plus d’accomplir oeuvre utile, entre autres comme directeur de l’excellente collection « Études québécoises » chez VLB. En ayant trouvé les moyens de faire traduire de l’anglais – et fort fidèlement, par Manon Leroux –, le livre que Susan Mann avait tiré en 1975 de sa thèse de doctorat à l’Université Laval sur le mouvement nationaliste de « L’Action française », l’éditeur relance et élargit l’accès à un ouvrage classique de l’historiographie québécoise contemporaine. « Classique » en ce sens que même les généralistes de mon genre n’y trouveront pas grand révélations inédites, non seulement parce que les analyses hier originales de Mann ont été tellement reprises d’un bord et de l’autre, depuis, qu’on en oublie la source, mais parce qu’elles conservent une pertinence et une lucidité qui restent à dépasser. Classique de forme aussi : construction logique et sans redites, argumentation pondérée évitant les jugements anachroniques, style élégant et naturel, à la fois respectueux de l’intelligence et de la patience du lectorat. Même si Lionel Groulx fut « manifestement le pilier du groupe, le garant de sa stabilité » (p. 48), et en a dirigé de 1920 à 1928 la revue mensuelle, L’Action française, son nom n’apparaissait pas au titre de l’édition originale. Il a été ajouté à celle-ci, explique la préface de circonstance, en guise de « remerciements » et « pour des raisons de marketing ». Mann avait en effet tissé avec le vieux chanoine des complicités assez affectueuses pour qu’il lui montre le manuscrit de ses Mémoires, peu avant sa mort en 1967. Par ailleurs, depuis que le regretté Mordecai Richler lui a dessiné une petite moustache antisémite dans les pages du New Yorker, la momie de Groulx a été excavée du Métro de Montréal pour repasser à la buanderie de la Grande Noirceur ; d’où que son image de marque, négative ou positive – qu’importe, pourvu qu’on en parle – ait regagné « des pattes », comme on dit dans le jargon américain du marketing, précisément. Génuflexion faite, toutefois, l’étude ne porte sur la pensée de Groulx qu’en ce qu’elle s’insère dans le principal courant intellectuel qui a redéfini le nationalisme canadien-français (pré-québécois), entre la Première Guerre mondiale et la Crise. Mann tient compte des autres voix au chapitre, non seulement au sein même de la bande, mais aussi à son arrière-scène immédiate (Henri Bourassa, l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française, la Société du parler français, l’École sociale populaire, etc.), et dans l’environnement élargi (les politiciens, le haut clergé, les grands quotidiens de langue française – un petit monde passablement incestueux). La fin du long XIXe siècle, sur lequel la guerre de 1914-1918 viendra tourner la page, est un temps d’inquiétudes au Canada français catholique. La pendaison de Louis Riel (1887), suivie de la répression scolaire de la diaspora – contre sa reproduction culturelle –, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, en Ontario, allant de pair avec l’invasion des « hordes barbares étrangères », ont rétréci comme peau de chagrin les rêves d’implanter territorialement au-delà de la réserve laurentienne le pacte imaginaire entre les « deux peuples fondateurs » de la Confédération. Au Québec même, les vagues d’immigrants naturellement portés vers l’anglais se conjuguent à l’effarant drain vers les États-Unis des habitants de vieille souche pour miner les bases démographiques même de la majorité, tandis que l’urbanisation physiquement et spirituellement « malsaine », la prolétarisation sous des patrons anglais et les braquages des classes sociales l’une contre l’autre, les charmes déjà irrésistibles de la consommation / américanisation de masse et l’anglicisation envahissante qu’elle entraîne (jusque dans notre enseignement …

Parties annexes