Comptes rendus

Jean-Jacques Simard, La Réduction. L’Autochtone inventé et les Amérindiens d’aujourd’hui, Sillery, Éditions du Septentrion, 2003, 430 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Warren

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  • Jean-Philippe Warren
    Titulaire de la Chaire d’études québécoises,
    Université Concordia.

Voici rassemblés enfin à peu près tous les textes publiés sur les Autochtones par le sociologue Jean-Jacques Simard au cours de sa longue et fructueuse carrière, commencée, nous confie-t-il, un soir de 1967 dans le petit village cri de Wemindji. Même pour un dilettante comme moi qui avais parcouru à la pièce l’oeuvre de Simard, au hasard de mes découvertes étudiantes, la lecture de cette somme de plus de quatre cents pages a de quoi surprendre et étourdir, tant par la qualité impressionnante de l’écriture que par l’érudition mise ici au service de l’intelligence. Que voilà du grand art ! Pour ceux qui ne connaissent des questions autochtones que les clichés à la mode sur les vertus du bon Sauvage, il est impérieux de se procurer cet ouvrage admirable a coopertura usque ad coopertura, mais ce l’est autant pour ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de fréquenter l’oeuvre de Simard car ils auront le bonheur de découvrir une prose sociologique à peu près unique, aussi épique qu’incisive. La première thèse du sociologue de l’Université Laval est simple : la colonisation impériale française, puis britannique, des terres américaines a lentement rapetissé les frontières du monde autochtone, non seulement dans ses dimensions territoriales, ce qui va de soi, mais également dans ses dimensions politiques et symboliques. Bien que des historiens pourront critiquer cette perspective, arguant qu’elle occulte la différence fondamentale entre la colonisation française et anglaise (dans la mesure où les réserves jésuites visaient davantage, par leur intégration à titre de sujets dans la monarchie française de droit divin et la famille du Christ, la protection des tribus indigènes contre les exactions des commerçants et des spéculateurs), Simard a raison d’utiliser le terme, sinon le thème de la réduction pour éclairer le processus historique auquel ont été confrontés les peuples autochtones surtout à partir du XIXe siècle. Ceux-ci ont été réduits géographiquement au fur et à mesure où ils ont été parqués dans l’enclave de la réserve ; politiquement quand l’alliance militaire est devenue, auprès d’une aristocratie elle-même de plus en plus une classe d’apparat, le vestige d’un autre âge ; économiquement quand l’économie de subsistance fut remplacée par la traite des fourrures, avant que celle-ci ne disparaisse pour laisser les Autochtones dans la condition de wards of the state ; juridiquement, avec la loi de 1876 qui crée le statut d’Indien, sorte d’apartheid à l’envers (à l’envers, dans le sens où l’on peut sortir du système de la racialisation mais point y entrer, alors qu’en Afrique du Sud, c’était le contraire) ; enfin, mentalement, puisque les Autochtones n’en finissent pas, encore aujourd’hui, de se représenter leur avenir dans le miroir des « Blancs ». Pour illustrer cette réduction, l’auteur puise la majorité de ses exemples les plus percutants dans les méandres des pouvoirs bureaucratiques qui forment le labyrinthe à l’intérieur duquel s’est retrouvé progressivement piégé le destin autochtone. Près du quart de l’ouvrage est consacré à l’expérience de la Baie-James, d’où ressort une conclusion qui est bien exposée dans le chapitre « Les structures contre la culture » : les accords gouvernementaux ont permis de résorber, par l’injection de fonds spéciaux pour la création de foyers d’accueil, centres de jour, hospices, services de santé et le reste à l’avenant (suivant en cela un organigramme de plus en plus sophistiqué), la plus criante misère individuelle, mais au prix d’une vaste aliénation collective qui est venue, en retour, hanter les existences personnelles avec la montée du taux de suicide, les ravages de l’alcoolisme et les autres problèmes sociaux. Le thème de « l’État, rouage de notre exploitation », qui …