Comptes rendus

Francine Saillant et Éric Gagnon (dirs), Communautés et socialités. Formes et force du lien social dans la modernité tardive, Montréal, Liber, 2005, 286 p.[Notice]

  • Vincent Lemieux

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  • Vincent Lemieux
    Professeur émérite,
    Département de science politique,
    Université Laval.

Le concept de communauté est relativement ancien et bien établi depuis Tönnies qui l’a défini par opposition à celui de société. Le concept de socialité, au contraire, demeure mal fixé. Quand des auteurs de l’ouvrage collectif s’essayent à le cerner, ils arrivent à des définitions éloignées les unes des autres. Limitons-nous à trois exemples. Dans leur introduction les deux directeurs de l’ouvrage disent de la socialité qu’elle « se définit de plus en plus hors de la coprésence (…) et fait intervenir des processus d’identification mais aussi de non-identification qui, outre les liens, révèlent l’existence de non-liens » (p. 9). Alors que dans son chapitre Francine Saillant écrit qu’on peut définir la socialité comme « l’ensemble des relations et liens qu’entretiennent les hommes avec les différentes composantes de leur environnement » (p. 170), pour Pierre Ouellet, elle « est bel et bien la délégation de sa liberté d’agir à un ensemble plus vaste défini par une autorité, l’État, la Cité, le Royaume, la Seigneurie… » (p. 239). Au lieu de recenser les chapitres de l’ouvrage collectif dans l’ordre où ils apparaissent, nous allons les regrouper en trois catégories : ceux où sont abordées à la fois les notions de communauté et de socialité (ou leurs substituts), ceux où l’accent est mis sur les liens sociaux et la socialité, et ceux où l’auteur prend prétexte de l’une ou l’autre des notions de communauté et de socialité pour traiter d’une question qui l’intéresse. Le chapitre de Stéphane Vibert sur la socialité entre communauté et société s’inscrit parfaitement dans la première catégorie. L’auteur, qui connaît bien l’oeuvre de Tönnies et qui s’inspire beaucoup de Louis Dumont, avance que la socialité communautaire contemporaine engage une intensification de l’idéologie moderne sur son versant individualiste. Plus généralement, la notion de socialité exprimerait un engagement sur les deux dimensions apparemment désormais disjointes, communauté et société, qu’elle aspirerait à reconfigurer selon ses propres voeux. Raymond Lemieux traite des deux notions mais évite le terme de socialité. Il lui préfère celui de réseau, dans son chapitre portant sur la dialectique de la communauté et du réseau dans le champ religieux. À ses yeux la communauté apparaît plus apte que le réseau à cultiver des solidarités entre des entités différentes. Andrée Fortin évite elle aussi le terme de socialité. Elle emploie plutôt ceux de sociabilité, de lien social et de réseau dans ses réflexions sur l’espace social, le réseau et la communauté à l’ère d’Internet. Pour elle une communauté ne peut pas se définir uniquement par un réseau, elle doit s’inscrire dans un temps social et dans un espace relationnel, et elle suppose une identité collective. On ne retrouve pas le terme de socialité chez Jacques T. Godbout, dont le chapitre porte sur le marché et le don. Le don, dit-il, est plus à l’aise dans un type de lien social relevant de la communauté, alors que le marché se porte mieux dans les liens dits secondaires. Il y a cependant du don même à l’intérieur du marché, si bien que la relation entre les liens primaires, propres à la communauté, et les liens secondaires gagnerait à être abordée de manière plus dynamique. C’est aussi de liens sociaux et de communauté dont il est question dans le chapitre de François Laplantine sur les petits liens, dont il est dit qu’ils ne concernent pas les formes de socialité « totales, abouties, réalisées, arrivées, ni même projetées » (p. 259), mais des rythmes de formes pouvant se déformer ou se transformer et qui remettent en question le lien à la communauté. D’autres auteurs s’intéressent davantage à la socialité ou aux liens …