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Au Québec comme ailleurs, l’intérêt que suscite un parti auprès des chercheurs est inversement proportionnel à sa popularité auprès des électeurs. Aussi faut-il se féliciter de la parution du livre de Michel Lévesque sur le Parti libéral au Québec, le plus ancien des partis politiques québécois et celui qui globalement a eu le plus de succès, si l’on se retient d’amalgamer ses adversaires successifs.

L’ouvrage couvre la période allant de la Confédération à la Révolution tranquille. En sept (un peu trop) longs chapitres, il explore des dimensions souvent négligées par les historiens et les politologues : l’origine des ailes parlementaires fédérale et provinciale de ce qui constitue aujourd’hui deux partis bien distincts ; l’organisation électorale du parti à tous les niveaux ; les tentatives, le plus souvent vaines, de création d’une organisation permanente à l’échelle fédérale comme provinciale ; les clubs libéraux ; le rôle et l’influence de ces derniers ; la presse libérale et enfin les finances du parti. Une attention minimale est accordée aux ailes parlementaires elles-mêmes, même si l’on constate qu’en bout de ligne ce sont les parlementaires qui tirent les ficelles.

L’auteur utilise deux méthodes traditionnelles appropriées : une synthèse des sources secondaires pertinentes et les renseignements tirés d’une douzaine de fonds d’archives. Les références de nature théorique sont presque totalement absentes. Le livre vaut surtout par la masse de faits qu’il ordonne et expose. Les principales lacunes, touchant notamment le financement du parti, tiennent essentiellement au caractère fragmentaire des sources documentaires. Il est à craindre que de telles zones d’ombre persistent longtemps, vu le secret qui a toujours prévalu en ce domaine jusqu’aux années 1960.

Que la « nébuleuse » libérale (le terme de « constellation » eût été plus approprié) ait été avant tout une machine à gagner les élections et à partager les bénéfices du pouvoir, on le savait depuis longtemps. Par contre, de l’absence de structures formelles permanentes aux niveaux supérieurs, on déduisait que cette constellation relevait plutôt du trou noir entre les élections. L’ouvrage nous oblige à remettre en question cette idée reçue. Entre les périodes électorales, la famille libérale restait bien vivante et active grâce aux clubs, lieux de rencontre, de socialisation et, disons-le, de sollicitation, et à une presse qui à l’époque ne cachait pas ses couleurs et dont la fortune, dans tous les sens du terme, suivait la courbe de popularité du parti.

Sur la fracture juridictionnelle quasi complète qui caractérise aujourd’hui la famille libérale, l’ouvrage offre d’utiles aperçus. On constate que durant les meilleures années du parti, les deux organisations collaborent étroitement, pour leur plus grand bénéfice mutuel. C’est après la Seconde Guerre mondiale que les choses se gâtent, et c’est l’organisation fédérale qui peut être considérée comme la principale responsable de cet état de fait. Si en 1964 l’organisation provinciale prendra l’initiative de se dissocier formellement de l’organisation fédérale, c’est bel et bien cette dernière qui porte la responsabilité de la rupture. À compter des années 1940, le parti fédéral abandonne la thèse traditionnelle du « Rouge à Québec, Rouge à Ottawa » au profit d’accommodements assez cyniques dont ses congénères provinciaux font les frais. En échange de la neutralité ou même de la collaboration active de l’Union Nationale lors des élections fédérales, les fédéraux renvoient l’ascenseur lors des élections provinciales. Le phénomène, qui n’est pas propre au Québec, préfigure bien la scène partisane contemporaine canadienne, caractérisée par une dissociation généralisée des partis sur une base juridictionnelle. C’est ainsi qu’on a vu en Colombie-Britannique, il y a une dizaine d’années, un premier ministre néodémocrate provincial, défait par le Parti libéral, connaître un « second début » sur la scène fédérale sous les auspices… du Parti libéral ! La carrière politique en arc-en-ciel des Charest et des Mulcair est moins originale qu’on ne le suppose. Paradoxalement, c’est la famille souverainiste québécoise qui a maintenu jusqu’au bout (au moins jusqu’à la débâcle de 2011) une solidarité inter-juridictionnelle abandonnée depuis longtemps par les partis fédéralistes.

Véritable somme sur le sujet, ce sourcebook de près de 800 pages fournira aux intéressés une riche matière qui saura inspirer – espérons-le – d’autres ouvrages, que l’on souhaite plus synthétiques.