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Le livre est un collectif regroupant huit études différentes en autant de chapitres sur la question de la consommation de drogues chez les jeunes au Québec. L’ouvrage fait suite à un séminaire tenu à Montréal en janvier 2003 et il constitue une référence très pertinente quant à la prévalence de la consommation de substances psychoactives chez les jeunes. Il contient une quantité impressionnante de données empiriques sur le phénomène et a le mérite de fournir l’heure juste, notamment quant à l’importance actuelle de la consommation de psychotropes chez les jeunes et aux trajectoires typiques de cette consommation chez les individus et chez les différentes cohortes observées au cours des dernières décennies. On y apprend notamment que la consommation est plus importante que ce que certaines enquêtes générales avaient pu révéler auparavant.

Sur le quatrième de couverture, il est indiqué que les textes présentés seront d’un grand intérêt pour « tous les intervenants, parents, professeurs, professionnels de la santé ou chercheurs ». Nous souscrivons à l’affirmation, mais il faut ajouter que plusieurs chapitres affichent un discours que bon nombre de parents ou même d’intervenants trouveront chargé de contenus méthodologiques à caractère relativement technique.

Le chapitre de Louise Guyon et Lyne Desjardins fournit le tableau de la consommation d’un échantillon représentatif de plus de 4 700 adolescents fréquentant une école secondaire au Québec. Les données sur la consommation de substances psychoactives y sont présentées de façon claire et synthétique. Il s’agit certainement d’une référence précieuse. Le chapitre offre aussi une interprétation des données en fonction de trois niveaux d’engagement dans la consommation : feu vert, feu jaune et feu rouge. Ces trois profils de consommation sont habilement utilisés pour interpréter les niveaux de risque. Une démonstration claire est faite que l’engagement dans la consommation est associé à des difficultés d’adaptation personnelle et relationnelle du jeune et que la précocité est un témoin important du risque d’enlisement dans la consommation.

Le deuxième chapitre, rédigé par Frank Vitaro, René Carbonneau, Richard E. Tremblay et Catherine Gosselin, se divise en deux parties. La première constitue une description très intéressante de trois trajectoires de développement de la consommation chez une cohorte d’adolescents et jeunes adultes suivis pendant 15 ans, et la deuxième rapporte les résultats d’un programme de prévention appliqué auprès de jeunes à haut risque de consommation élevée de drogues (garçons issus de milieux défavorisés). L’échantillon offre donc une perspective longitudinale exceptionnelle même s’il n’est pas représentatif de l’ensemble de la population des jeunes québécois. L’étude a le mérite de proposer une analyse de l’interaction de trois trajectoires (consommation faible, moyenne et élevée entre 13 et 17 ans) en fonction des trois types de produits considérés, soit l’alcool, la marijuana et les « autres drogues ». Cette analyse, croisant le niveau de consommation et le produit consommé, donne lieu à sept profils différents de jeunes dont l’importance relative est fournie en pourcentage. On apprend notamment que 8,7 % de l’ensemble affichent une consommation élevée des trois types de produits comparativement à 24,7 % qui rapportent une consommation faible des trois types de produits. Les données de consommation sont mises en lien avec les indices d’ajustement personnel et social des répondants et illustrent clairement la relation entre la lourdeur de leur consommation et leurs difficultés personnelles et sociales. La deuxième partie du chapitre présente un exemple de programme de prévention secondaire de type générique (c’est-à-dire visant non pas seulement un problème en particulier mais une série de problèmes interreliés) s’adressant à des garçons de 2e et 3e année du primaire et à leurs parents. Cette partie du chapitre fournit aussi une réflexion critique sur différents programmes de prévention des toxicomanies. Compte tenu de ces deux objets distincts, ce chapitre aurait pu être scindé en deux.

Le chapitre « Toxicomanie parentale et négligence envers les enfants » de Micheline Mayer, Chantal Lavergne, Louise Guyon, Estelle Gemme, Nico Trocmé et Magali Girard met à profit les données de l’Étude québécoise d’incidence (1998) pour faire le lien entre la consommation parentale de drogue et le plus important problème en protection de la jeunesse : la négligence. Synthétique et très bien écrit, il fait clairement comprendre le lien entre les risques de mauvais traitement des enfants et la toxicomanie parentale, elle-même très intimement reliée à la pauvreté, à l’isolement et à la précarité de la cellule familiale. Les défis de la gestion des risques vécus par l’enfant sont discutés dans l’optique des enjeux pour les services sociaux.

Le chapitre 4, « L’injection de drogues chez les jeunes de la rue : un problème grave chez les mineurs », est signé par Élise Roy, Nancy Haley, Pascale Leclerc et Jean-François Boivin. L’étude examine différentes caractéristiques de ces jeunes de la rue de Montréal. L’expérience de 35 jeunes de la rue ayant été initiés à la consommation de drogues injectables durant leur suivi est présentée et discutée. En raison de cette marginalité, il est difficile de réussir à recruter un échantillon de ce type. Selon cette étude, environ 30 % des jeunes de la rue recrutés auraient été initiés à la consommation de drogues injectables. Même si les jeunes de la rue représentent une très petite proportion de l’ensemble de la population de leur âge, le risque d’initiation à l’injection est très élevé chez eux. L’objectif de quantifier ce risque chez des mineurs de la rue est bien atteint, ce qui représente une contribution scientifique indéniable.

Marc Leblanc adopte un angle plus macroscopique sur l’évolution de la consommation de psychotropes sur quatre décennies, soit une quantité impressionnante de données. Le lien entre consommation et délinquance est établi de façon experte et convaincante : il y a covariation claire entre la consommation de psychotropes, la déviance et la judiciarisation. L’auteur aborde la trajectoire de consommation en y intégrant non seulement les phases d’engagement typiques (escalade) mais aussi les phases de désengagement qui surviennent à partir de la trentaine (désescalade). La mise en rapport du patron d’engagement dans la consommation avec le patron de consommation lui-même (habitudes de consommation) constitue une autre dimension originale de ce chapitre. Toute une section de ce volumineux chapitre est consacrée à l’étude des liens entre la consommation et l’ajustement personnel et social des adolescents concernés. La structuration du contenu par questions de recherche facilite l’intégration de la grande quantité de données factuelles utilisées, notamment celles qui proviennent du programme « Alternatives ». Enfin, une discussion des approches préventives requises est proposée, que l’auteur lui-même situe un peu comme son testament sur le sujet des psychotropes au regard de l’adaptation et du traitement des jeunes à risque. Il s’agit d’une contribution originale qui offre une perspective d’envergure sur le phénomène.

Le sixième chapitre intitulé « Le recours aux médicaments psychotropes dans la prise en charge des jeunes hébergés dans les centres jeunesse » est signé par Denis Lafortune et Catherine Laurier. Il s’agit d’un texte bref, très facile à lire et qui fournit un tableau intéressant mais alarmant des pratiques médicamenteuses en milieu d’hébergement pour mineurs. La situation québécoise est présentée avec pour noyau empirique les résultats intéressants d’une étude menée au Centre jeunesse de Montréal, qui a permis d’établir que 19,6 % des jeunes étaient médicamentés et que 35 % des ordonnances se rapportaient à des psychostimulants.

Pour Marie-Marthe Cousineau, Serge Brochu et Fu Sun, la consommation de substances psychoactives et les comportements violents coexistent souvent dans la population juvénile mais la nature de la relation entre ces deux réalités n’est toutefois pas simple à établir. Certains scientifiques ont élaboré des modèles pour rendre compte de la nature de la relation qui existe entre ces deux variables. L’étude tente de montrer comment le modèle de Goldstein peut s’appliquer aux données québécoises. Les jeunes sont décrits selon la nature de leur consommation et selon la fréquence de leur comportement. L’exposé de la méthodologie comprend beaucoup de détails qui ne sont pas toujours utiles au lecteur, bien qu’ils appuient la validité des données. À qui s’adresse le contenu ? Il paraît difficilement accessible à une population n’ayant pas de connaissances en statistiques et la lourdeur du texte remet en question le fait qu’il puisse s’adresser au grand public. On mentionne parfois l’existence de différences, par exemple entre les garçons et les filles alors que ces différences ne sont pas significatives. L’application du modèle tripartite de Goldstein aux données de l’étude apparaît peu convaincante, ce qui met en doute la pertinence d’aborder la question sous cet angle.

Le chapitre « Des jeunes se racontent », signé par Natacha Brunelle, Serge Brochu et Marie-Marthe Cousineau, offre une très belle contribution qualitative au livre par l’analyse du discours de 52 adolescents en difficulté sérieuse. Les auteurs proposent, au moyen de récits de vie, l’éclairage du discours des jeunes eux-mêmes pour mieux comprendre les processus de leur déviance juvénile. Cinq stades de développement sont proposés : l’occurrence, l’engagement déviant, l’enchaînement déviant, la compulsion, et le rétablissement (temporaire ou total). L’analyse est sensible et nuancée, livrée dans un texte très bien écrit. Les importantes difficultés de vie des jeunes à haut risque ressortent ici. La contribution potentiellement déterminante des relations avec des personnes « conformistes » (pairs aidants notamment) est bien soulignée comme facteur de réhabilitation des jeunes.

Globalement, dans un monde à la recherche de données probantes pour guider les pratiques cliniques, le volume réussit bien à donner une place privilégiée à la dimension empirique quitte à prendre parfois l’allure d’un recueil d’articles scientifiques. Déjà, certains chapitres peuvent prétendre au statut de référence normative. Au-delà des inégalités incontournables dans ce type d’ouvrage collectif, le livre joue très bien son rôle de traité en mettant à profit un niveau scientifique respectable. Il constitue une référence de qualité parce qu’il offre une belle synthèse des connaissances et des questions sur ce thème capital pour le monde de l’éducation, de la santé et des services sociaux à la jeunesse : les jeunes et les drogues.