Notes critiques

Une démarche stérileGérard Bouchard, La pensée impuissante. Échecs et mythes nationaux canadiens-français (1850-1960), Montréal, Boréal, 2004, 319 p.[Notice]

  • Damien-Claude Bélanger

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  • Damien-Claude Bélanger
    Département d’histoire,
    Université Trent.

Depuis une dizaine d’années, une nouvelle sensibilité historique se dessine au Québec. Ses animateurs proviennent de divers horizons, mais ils sont unis par le regard critique qu’ils posent sur la Révolution tranquille et le Québec contemporain. Ils s’intéressent particulièrement à l’histoire intellectuelle et religieuse du Québec et insistent souvent sur le caractère distinct de son évolution historique. L’héritage religieux du Canada français, la canadianité du Québec et la pensée traditionaliste sont abordés avec nuance et, parfois, avec sympathie. Cette nouvelle sensibilité inquiète l’establishment historique québécois. Pour beaucoup d’historiens, des révisionnistes pour la plupart, il s’agit d’une démarche profondément conservatrice, voire réactionnaire. Gérard Bouchard, dont les travaux n’ont pas toujours été bien accueillis par ces historiens, partage néanmoins leurs inquiétudes à l’égard de la nouvelle sensibilité historique. Le présent ouvrage est le fruit de ces inquiétudes. Avec Raison et contradiction et Les deux chanoines, tous deux publiés en 2003, La pensée impuissante forme un triptyque consacré à la vie intellectuelle du Québec entre l’échec des rébellions de 1837-1838 et l’avènement de la Révolution tranquille. Ce triptyque est voué à un but très précis : la condamnation d’une partie de l’héritage intellectuel québécois. Ces ouvrages sont en effet des essais et constituent une riposte aux postulats de la nouvelle sensibilité. L’essentiel du premier chapitre de La pensée impuissante est consacré à la pensée ruraliste. Les chapitres suivants portent respectivement sur la vie et l’oeuvre de quatre intellectuels canadiens-français : Arthur Buies, Edmond de Nevers, Édouard Montpetit et Jean-Charles Harvey. À la fin de l’ouvrage, Bouchard effectue un retour sur Les deux chanoines, répondant aux critiques suscitées par son livre sur les contradictions de la pensée groulxiste. L’idée-force de La pensée impuissante, que Bouchard répète ad nauseaum, est assez simple : entre les années 1840 et la Révolution tranquille, la pensée canadienne-française est intrinsèquement contradictoire et impuissante. Toute pensée comporte des contradictions, souligne l’auteur, mais la pensée canadienne-française est fragmentaire parce qu’elle est incapable de « subvertir, résorber, surmonter, aménager d’une façon ou d’une autre le contradictoire » (p. 11). Dans La pensée impuissante, Bouchard propose une nouvelle typologie des idées. Celle-ci ne serait pas basée sur le clivage droite/gauche, mais plutôt sur la capacité d’une idéologie à résorber ses contradictions internes. Selon ce schéma, il existerait trois types de pensée : Selon Bouchard, pendant plus d’un siècle, la quasi-totalité des intellectuels canadiens-français – libéraux et conservateurs, nationalistes et antinationalistes – souffraient d’une pensée fragmentaire. Ils étaient à la fois pour et contre l’industrie, pour et contre la continuité, pour et contre la modernité, pour et contre le Canada. Ils faisaient la promotion de la nationalité canadienne-française, mais rejetaient l’idée d’indépendance et négligeaient les questions politiques et sociales. Par ailleurs, leur conception de la nation était abracadabrante et leur rapport à la France et au continent nord-américain était fondamentalement ambigu. Ainsi, entre l’échec des rébellions et l’avènement de la Révolution tranquille, les penseurs qui ont dominé la vie intellectuelle du Québec ont partagé un même « syncrétisme naïf » (p. 41). En bout de ligne, insiste Bouchard, les rêves, les projets de ces intellectuels fragmentaires « ont engendré du statu quo plus que du changement ; ils ont distillé de l’impuissance plus que de l’audace collective » (p. 58). Toutefois, ce constat se fonde sur une analyse parfois incomplète, et trop souvent partisane, de l’histoire intellectuelle du Canada français. Sur la question de l’agriculture et de la colonisation, par exemple, l’analyse de Bouchard s’appuie sur une conception trop peu nuancée du ruralisme canadien-français. Ce ruralisme n’était pas une doctrine contradictoire qui prêchait à la fois l’industrialisation et le …