Notes critiques

Articuler une pensée fédéraliste authentique au QuébecAndré Burelle, Pierre Elliott Trudeau. L’intellectuel et le politique, Montréal, Fides, 2005, 469 p.[Notice]

  • Guy Laforest

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  • Guy Laforest
    Département de science politique,
    Université Laval.

Philosophe de formation, ayant fait l’essentiel de sa carrière comme « professionnel de l’ombre » dans la fonction publique fédérale, André Burelle est avec Charles Taylor l’une des rares voix authentiques et fortes articulant une pensée fédéraliste structurée et cohérente dans le Québec contemporain. Plus que Taylor, que Léon Dion, et même que Claude Ryan, il faut dire à propos d’André Burelle que la réflexion sur le fédéralisme canadien et la promotion des idéaux qui l’accompagnent auront été les grandes affaires de sa vie intellectuelle jusqu’à présent. Avec la parution de son livre, Pierre Elliott Trudeau. L’intellectuel et le politique, André Burelle approfondit la démarche d’analyse et de critique de l’oeuvre politico-constitutionnelle de P. E. Trudeau, avec ses conséquences sur le destin historique du Québec et du Canada, qu’il avait amorcée il y a une décennie en publiant Le mal canadien. Essai de diagnostic et esquisse de thérapie et Le droit à la différence à l’heure de la globalisation. Le cas du Québec et du Canada. Ce livre est donc un hommage critique mais fraternel de Burelle à P. E. Trudeau, cet homme et ce premier ministre du Canada qu’il a servi de 1977 à 1984 comme conseiller politique et comme plume française. Dans l’introduction du livre, laquelle fait près de 100 pages et en constitue l’une des trois parties, l’auteur s’explique d’abord sur la nature de son amitié avec M. Trudeau ainsi qu’à propos de sa relation spirituelle et personnelle encore plus étroite avec Gérard Pelletier. Burelle veut à la fois chérir son amitié profonde mais dorénavant brisée avec M. Trudeau, tout en s’imposant un devoir de vérité et de distanciation critique. À la source de l’amitié intellectuelle entre Trudeau et Pelletier d’un côté, Burelle de l’autre, se trouve la pensée politique du personnalisme communautaire, en particulier celle d’Emmanuel Mounier et de Jacques Maritain. Cette pensée politique, dont l’influence sur le Québec en aval comme en amont de la Révolution tranquille a été précisée par Martin Meunier et Jean-Philippe Warren, Burelle prend le temps d’en rappeler les principales dimensions conceptuelles : rapport entre individu et personne, équilibre entre personne et communauté dans la réflexion sur le bien commun et la société juste. Dans la perspective de la philosophie politique, on retrouve ici une pensée très proche de celle qui avait été articulée par André Laurendeau dans les pages bleues qui servaient d’introduction au premier volume du Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1967, voisine également du libéralisme pluraliste développé par Will Kymlicka, notamment dans La citoyenneté multiculturelle. Cet édifice conceptuel mène selon Burelle à une vision cohérente du fédéralisme personnaliste et communautaire, laquelle peut se ramener à quatre principes : l’équivalence plutôt que l’identité de droit et de traitement comme fondement de l’égalité ; la subsidiarité comme principe de division des pouvoirs ; la non-subordination comme principe de répartition de la souveraineté ; la codécision enfin comme principe de gestion de l’interdépendance entre les partenaires (p. 44). Bien évidemment, une telle pensée a nourri l’entreprise de la construction européenne. À la recherche d’un principe de cohérence dans la pensée de Trudeau, Burelle fait l’hypothèse qu’il y a toujours eu chez ce dernier coprésence du personnalisme communautaire et du libéralisme individualiste d’inspiration anglo-américaine. Dans la section suivante du livre, Burelle rassemble des textes qui illustrent la présence et la force du courant personnaliste communautaire chez Trudeau l’intellectuel cité-libriste. Puis il contraste ces morceaux d’anthologie avec d’autres extraits, tous tirés de l’époque Meech-Charlottetown, qui témoignent de la puissance du libéralisme individualiste uniformisant et du fédéralisme « one nation » canadien d’inspiration …

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