Comptes rendus

Sabine Choquet et Jocelyn Létourneau (dirs), Le Québec, une autre Amérique. Dynamismes d’une identité, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, 276 p. (Numéro spécial de Cités, 23.)[Notice]

  • Simon Langlois

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  • Simon Langlois
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Voici un intéressant numéro spécial sur le Québec de la revue française Cités qui comprend un dossier réalisé sous la direction de Sabine Choquet et Jocelyn Létourneau, deux longs entretiens avec Joseph Facal et Alain Dubuc (équilibre des tendances politiques oblige, sans doute), quatre textes littéraires inédits, un lexique (surtout montréalais, dans lequel on explique aux Français ce qu’est la montagne, le plateau, les Bougons, le 450 ou le squeegee) ainsi que neuf comptes rendus d’ouvrages marquants sur le Québec (sur les identités et la question nationale, en fait) écrits ces dernières années. D’entrée de jeu, l’un des deux coresponsables du Dossier (Jocelyn Létourneau) propose rien de moins que de « rouvrir la question du Québec » en rappelant son hypothèse d’une évolution vers le postnationalisme. Létourneau déplore que la « majorité des penseurs québécois restent dépendants de la problématique de l’(in)accomplissement national pour penser le devenir québécois » (p. 15) et il esquisse quelles seraient les pistes d’analyse de la société québécoise considérée comme société globale. Esquisse est bien le bon mot, car l’analyse proposée reste quelque peu en surface. Montréal y est décrite comme une cité globale par opposition au « reste du Québec », qui devient de son côté un espace desserte pour la métropole et dont le capital humain est littéralement vampirisé par cette dernière selon les mots de l’auteur (p. 17). L’expression est un peu forte, on en conviendra. La thèse des deux Québec dans un « se manifeste aussi sur le plan identitaire » (p. 18). Montréal serait marquée par l’interculturel et par l’interréférentialité qui serait cependant pleine de multiplicitude (l’auteur aime bien les néologismes mais le lecteur s’y perd), et si l’auteur reconnaît des recoupements et arrimages nombreux entre la montréalité et la québécité, il voit surtout émerger des divergences. Sur quelles données empiriques s’appuie ce diagnostic ? L’article ne le mentionne pas. Létourneau insiste sur les déphasages sociaux – qui caractériseraient le Québec en entier, mais aussi Montréal – entre les secteurs inscrits dans « l’hypertechnologie » et ceux qui sont typiques de l’ancienne économie industrielle en déclin. Il cite à l’appui quelques études ou des chiffres que nous connaissons bien pour y avoir travaillé (sur la pauvreté et l’emploi ou encore sur l’appui à la souveraineté du Québec), mais il nous semble difficile d’arrimer ces données avec l’argumentation proposée. Il y a un net hiatus logique entre les concepts avancés par l’auteur et les chiffres qui n’ont pas été construits ni recueillis en fonction de la problématique. La thèse de Létourneau sur l’ambivalence identitaire des Québécois est connue. Il cite à l’appui des chiffres globaux sur l’adhésion à la souveraineté qui indiqueraient que les électeurs québécois sont divisés sur la question (30 % de OUI catégoriques, 30 % de NON catégoriques et 40 % d’hésitants). Or, dans une étude faite avec Gilles Gagné, nous avons montré que les positions des électeurs étaient de fait beaucoup plus tranchées et nettes quand nous les considérons en sous-groupes homogènes (les anglophones sont contre la souveraineté en majorité, les francophones jeunes donnent un large appui au OUI et les francophones âgés sont nettement pour le NON, par exemple). Autrement dit, les Québécois ne sont pas tiraillés dans l’âme ni ambivalents, mais ils auraient plutôt des positions assez bien définies ; c’est l’agrégation des préférences à un niveau collectif qui donne le résultat d’un Québec séparé en deux, d’où l’impression d’ambivalence. Or, les changements structuraux (nouvelles générations d’électeurs, ou encore lente disparition des générations âgées plus fédéralistes) sont en train de changer la donne sur cette question. Les phénomènes d’agrégation et les effets de changements structuraux …