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Comme l’indique le sous-titre, les contributions réunies dans cet ouvrage dirigé par Dorval Brunelle proposent un tableau d’ensemble du développement des partenariats public-privé (PPP) au Québec et en Amérique du Nord, c’est-à-dire à l’échelle de cet ensemble d’États qui se sont engagés, depuis près de vingt ans, dans un processus d’intégration continentale de leurs structures économiques. Loin de constituer des innovations locales et spontanées, les PPP, soutient Brunelle en introduction, s’inscrivent en effet pleinement dans la dynamique institutionnelle de ce processus, qui fait référence non seulement à la réorganisation des filières de production et à la reconfiguration des espaces d’accumulation capitaliste en Amérique du Nord, mais aussi – et peut-être surtout – à « l’extension de part et d’autre des frontières des États-Unis, d’un cadre normatif préparé, appliqué et sanctionné là-bas » (p. 23). Or, c’est précisément ce cadre normatif, véritable vecteur de libéralisation et de déréglementation, qui est à l’oeuvre avec l’institutionnalisation des PPP, qui visent à soumettre la prestation de certains services publics aux mécanismes de contrôle du marché en procédant à leur impartition vers le secteur privé. Cette thèse, on le voit immédiatement, nous plonge au coeur d’un débat sur les rapports entre politique et économie qui est d’une indéniable actualité.
L’ouvrage se divise en cinq chapitres qui, à l’exception du premier, présentent chacun une étude de cas venant étoffer ce survol des PPP. Les auteurs s’attardent principalement sur le contexte historique et politique de l’adhésion des États-Unis, du Canada, du Québec et du Mexique au principe de ces ententes de services. Une introduction et une conclusion substantielles, rédigées par le directeur de l’ouvrage, viennent enfin baliser ce champ d’investigation.
Dans le premier chapitre, qui est le plus consistant sur le plan théorique, Dorval Brunelle, Pierre-Antoine Harvey et Sylvain Bédard présentent le cadre idéologique au sein duquel les PPP ont acquis une légitimité. C’est dans la philosophie d’inspiration (néo)libérale développée durant la guerre froide que les auteurs identifient d’abord les principes généraux d’une critique radicale de l’État-providence, qui est menée au nom des effets anti-économiques de ce dernier. Valorisant le caractère fonctionnel de la « gouvernance des appareils d’État », cette critique a visé à dépolitiser la question de la prestation des biens et services collectifs par les administrations publiques en soutenant qu’il s’agissait là d’un domaine d’action relevant essentiellement des organisations privées. Cette philosophie a constitué l’une des sources de la Nouvelle gestion publique (NGP) qui a, quant à elle, fourni les assises doctrinales d’un vaste projet de restructuration des administrations publiques externalisant le caractère politique de ces institutions : en présentant des solutions managériales (plus de flexibilité, d’efficacité, de décentralisation et de souplesse réglementaire) à la crise de l’État-providence qui s’était entre-temps développée, la NGP a assimilé le gouvernement à un going concern comme les autres, et a contribué de ce fait à neutraliser l’exigence d’un débat sur les finalités des réformes menées sous son égide. En mettant l’accent sur l’efficacité des résultats et les avantages économiques liés à la formule, les discours cherchant à légitimer les PPP font écho aux principes apolitiques défendus par la NGP dans sa version actuelle. Les auteurs montrent bien que l’une des conséquences structurelles de ces ententes pragmatiques d’impartition est qu’elles introduisent, en sous-main, un glissement important quant au caractère public de la propriété des biens et services. Dans une typologie inspirée de l’économiste Samuelson, ils reviennent en effet sur les diverses catégories de biens et services allant de « privé normal » à « public pur », et constatent que même cette dernière catégorie de biens (qui constituent des « biens communs », qui ne peuvent par définition être privatisés ou commercialisés) voient leur statut politico-juridique s’effilocher à travers les nouvelles formes d’impartition dont les PPP constituent la principale espèce.
Simon Carreau analyse les restructurations administratives récentes du gouvernement fédéral américain, restructurations qui ont été mises de l’avant dans la National Performance Review par le président Clinton en 1993. Ce programme de réformes, directement inspiré des principes de la NGP, a institué au sein de l’administration fédérale américaine une panoplie de mesures ayant pour but d’accroître sa performance et sa flexibilité. Par le FAIR Act (1998), on sépara nettement les activités « intrinsèquement » gouvernementales des activités économiques assumées par l’État, ces dernières devant être soumises à la procédure du competitive sourcing, où la prestation des services publics est soumise à la régulation du marché pour déterminer la méthode la plus efficace et la plus économique. Pour ce qui est des PPP comme tels, il faut comprendre, avance Carreau, qu’ils sont partout et nulle part aux États-Unis : la variété des formes contractuelles s’apparentant à un PPP est si grande, et les limites entre le caractère public et privé des biens et services sont si indistinctes et si poreuses, que l’on doit remettre en question la pertinence de ce terme dans un pays où l’État n’a jamais été investi des mêmes prérogatives et responsabilités que les gouvernements québécois et canadien.
Au troisième chapitre, le plus synthétique de tous, Pierre-Antoine Harvey et Dorval Brunelle examinent le destin des PPP au sein de l’État fédéral canadien, destin intimement lié à la modernisation de l’État effectuée par le gouvernement Mulroney dans les années 1980. Étalées sur une vingtaine d’années, les réformes successives engagées sous les auspices de cette modernisation ont débouché sur la mise en place de mesures de décentralisation des décisions et de réduction des dépenses, qui ont peu à peu saboté la capacité et la légitimité de l’État canadien à financer et à dispenser seul les services dont il avait la responsabilité. Ce n’est qu’au terme de cette modernisation que les PPP ont pu apparaître comme une solution économiquement avantageuse et tout à fait adaptée au contexte d’une libéralisation des échanges entre « partenaires commerciaux ». Aussi faut-il, de l’avis des auteurs, penser la modernisation de l’État canadien, les PPP et les impératifs de libéralisation économique comme autant de facettes d’un même procès cohérent ; les PPP et autres innovations du genre établis par le gouvernement apparaissent ainsi comme de puissants mécanismes d’ajustement structurel instituant et prolongeant au sein du gouvernement la logique mise en oeuvre par les accords de libre-échange nord-américains. C’est précisément sur le fond d’une telle problématique d’ensemble que l’on peut saisir « à quel point la globalisation des marchés impose des adaptations en chaîne à travers un processus continu à l’intérieur duquel adaptation et réajustement s’inscrivent dans la continuité les uns par rapport aux autres » (p. 118).
Cela est aussi vrai pour le cas québécois, dont Simon Carreau propose une analyse exhaustive mettant en lumière les rapports étroits entre la modernisation de l’État et les projets de libéralisation des services. Lancée au lendemain du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, la restructuration de l’État québécois a culminé avec l’adoption de la Loi sur la réforme de l’administration publique, en 2000. Refondant le cadre de gestion publique en adoptant les principes de la NGP, cette loi a introduit diverses dispositions réglementaires contraignant l’administration publique québécoise à s’adapter à son environnement économique, ce qui allait naturellement dans le sens des pressions exercées par les groupes d’intérêts et les clientèles. Élément important de cette stratégie d’ouverture aux puissances des milieux économiques, les PPP ont été dans les cartons du gouvernement dès 1997, mais il fallut attendre l’élection du gouvernement Charest en 2003 pour que le recours à ces partenariats soit institutionnalisé par la controversée loi créant l’Agence des PPP du Québec. Tout cela dans le contexte où le gouvernement québécois, qu’il soit bleu ou rouge, n’a eu de cesse d’examiner les modalités d’une libéralisation du « marché public » des achats en biens et services réalisés par son administration, conformément aux dispositions contenues à cet effet dans les accords de libre-échange nord-américains, qui ont transformé les services publics en un gigantesque stock de contrats pouvant être impartis aux organisations nationales et transnationales. Si le Québec a pu être, pendant un temps, légèrement « retardataire » par rapport au processus de fragmentation de la souveraineté politique sur les biens publics, les nouvelles mesures adoptées indiquent que les récents gouvernements se sont mis en tête d’être à la fine pointe des « tendances » du grand capital continentalisé.
Le cas des PPP au Mexique est analysé par Yanick Noiseux, qui constate qu’ils constituent, depuis les années 1990, l’une des pierres angulaires de l’administration mexicaine des biens publics nationaux. Mis en place afin de fournir un cadre réglementaire conforme aux exigences commerciales des accords de libéralisation nord-américains, les Proyectos para prestation de servicios mexicains ont été échafaudés à travers quelques « grands moments » de la modernisation du régime de propriété et de prestation des services publics. Deux de ces moments successifs retiennent l’attention. D’abord, la mise en place d’un ambitieux programme de modernisation des infrastructures publiques en 1997 s’est appuyée sur la formule du partenariat entre l’État et les entreprises, ces dernières devant financer et construire des infrastructures dont l’État devait par la suite devenir le propriétaire. Cette formule, qui s’est avérée extrêmement coûteuse à l’État mexicain, a été suivie en 2001 par un second programme de modernisation encore plus « ambitieux ». En effet, cette « seconde génération » de PPP mexicains a pris la forme de joint-ventures, où l’État a abandonné l’idée d’être le propriétaire d’infrastructures qu’il a néanmoins contribué à financer généreusement. D’une génération à l’autre de PPP, l’État mexicain a donc fait sien le bon vieux principe du libéralisme économique, selon lequel il faut socialiser les coûts et privatiser les profits, et a exprimé l’une des tendances fortes induites par les accords de libéralisation à laquelle le Québec sera tôt ou tard sommé de réagir.
On reconnaîtra à cet ouvrage collectif d’avoir rassemblé et ordonné une variété impressionnante de documents et de données sociographiques sur les PPP en Amérique du Nord, en les pensant sur le fond d’une dynamique hégémonique qui dépolitise la question de la gestion des biens et services collectifs. Cet ouvrage constitue un important document de recherche pour quiconque souhaite obtenir une vue détaillée et critique des effets du procès de continentalisation sur les régies internes des États qui y sont engagés, y compris des États qui, comme le Québec, ne sont pas plénipotentiaires.