Comptes rendus

Martin Pâquet, Tracer les marges de la Cité. Étranger, Immigrant et État au Québec 1627-1981, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2005, 317 p.[Notice]

  • Bruno Ramirez

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  • Bruno Ramirez
    Département d’histoire,
    Université de Montréal.

Tracer les marges de la Cité est l’oeuvre ambitieuse d’un historien qui depuis plusieurs années étudie la place de l’immigration au Québec et les transformations qui se sont opérées dans l’appareil et le discours étatiques pour gérer ce phénomène dans toute sa complexité. Ambitieuse, car l’auteur parcourt presque quatre siècles d’histoire nationale ainsi que les différents contextes qui l’ont marquée, s’efforçant à chaque fois d’examiner le degré d’ouverture ou de fermeture de la Cité à l’égard de l’étranger. Car c’est la présence de l’étranger – dans l’imaginaire collectif, dans les discours qui le valorisent ou le dévalorisent, et dans la manière dont tout cela se traduit sur les plans juridique et administratif – qui fournit le fil conducteur de cette étude riche et complexe. Et comme tout ouvrage complexe qui adopte plusieurs registres analytiques, on peut le lire à plus d’un niveau. L’un de ces niveaux est exemplifié par la phrase avec laquelle l’auteur termine son étude : « Au-delà de l’ordre du discours il y a l’être humain » (p. 237). Grâce à une recherche systématique des sources archivistiques et des textes juridiques pertinents, il parvient à pénétrer dans le quotidien des différents univers historiques et à mettre en scène des personnages en chair et en os que des vicissitudes diverses ont amenés aux portes de la Cité – êtres humains porteurs d’une altérité perçue parfois comme menaçante, parfois comme utile, voire enrichissante. Ces personnages sont peu nombreux si on considère la longue durée sur laquelle s’étale son étude, et peut-être aussi parce que les archives administratives sont souvent avares lorsqu’il s’agit de révéler les trajectoires de vie d’individus ordinaires pris dans les engrenages de l’État. Mais dans chacun de ces cas, l’auteur réussit à donner une signification à leur humanité en les plaçant en rapport (souvent comme victimes) avec des systèmes religieux, culturel, et légal très imbriqués qui mesurent et définissent leur altérité. À travers ces fragments de vie le lecteur se rend compte de l’importance, par exemple, de l’allégeance politico-religieuse comme critère d’inclusion dans une Cité (ici la Nouvelle-France) dont la mission dans le nouveau monde est soutenue par une cosmogonie qui reconnaît l’humanité de l’étranger. Dans un contexte historique ultérieur, la peine de pendaison qui sera infligée en 1797 à Québec à l’Américain Peter McLane illustre jusqu’à quel point l’altérité de l’étranger est évaluée en fonction du degré de menace qu’il peut poser à la sécurité publique dans la nouvelle ère des révolutions et des guerres impériales qui succède à la Conquête. Lois, proclamations, ordonnances et « notices aux aubergistes » se multiplient et constituent les instruments grâce auxquels les appareils du pouvoir exercent leur vigilance sur l’étranger, en jugent les comportements et sanctionnent son inclusion ou son exclusion. Et pour démontrer que l’inclusion légale n’est pas en soi garante d’inclusion politique, l’auteur revisite le cas célèbre d’Ezekiel Hart, à qui on a interdit d’exercer ses fonctions à titre de « représentant élu » dans la circonscription de Trois-Rivières parce qu’il était juif, ce qui, aux yeux des autorités, rendait suspecte son allégeance à la Couronne. De toute évidence, nous rappelle l’auteur, la modernisation de l’appareil répressif étatique a du mal à se libérer du lien sacré entre le souverain et le sujet, du moins aussi longtemps qu’un nouvel ordre social et de nouvelles idéologies politiques n’auront pas imposé d’autres formes de rationalité plus fonctionnelles aux besoins économiques et de contrôle social. Ce nouvel ordre débute par la période de calme relatif sur la scène internationale qui fait suite aux guerres napoléoniennes et qui ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire des mouvements de population transatlantiques. Des …