Comptes rendus

Serge Proulx, Françoise Massit-Folléa et Bernard Conein (dirs), Internet, une utopie limitée. Nouvelles régulations, nouvelles solidarités, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 335 p.[Notice]

  • Éric George

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  • Éric George
    Faculté des arts et GRICIS,
    Université d’Ottawa.

Cet ouvrage collectif regroupe des textes de dix-huit auteurs qui s’interrogent sur la gouvernance d’Internet à partir de l’étude de la façon dont trois types de normes – juridico-politiques, techniques et sociales – se développent dans un contexte où la régulation est dorénavant non seulement le résultat des interactions entre parlements, tribunaux, organisations internationales et autorités de réglementation mais également des usages collectifs et des pratiques individuelles du réseau informatique. Le livre, globalement fort intéressant, est censé être traversé par le fil rouge suivant : il importe de ne pas surestimer les éventuels changements dont Internet serait porteur à un niveau macrosocial mais, à l’inverse, il ne faut pas non plus sous-estimer ceux qui se manifestent à des niveaux intermédiaires ; d’où la présence dans le titre de l’ouvrage de l’expression « utopie limitée » qui fait référence à la volonté de ne pas aboutir à des changements globaux mais seulement à des changements ayant une portée restreinte à court terme. Toutefois, autour de l’analyse instructive de la pratique des hackers et du mouvement de l’informatique libre (MIL), Thierry Bardini et Serge Proulx se donnent pour objectif de montrer comment une nouvelle configuration technologique et les pratiques sociales qu’elle favorise ou contraint font partie d’une même dynamique culturelle de transformation des normes sociales. Ils concluent même au sujet de l’informatique libre qu’il s’agit d’un nouveau mode de production et de partage des savoirs ; une idée intéressante mais manquant quelque peu de justification en l’état, nous semble-t-il, et plutôt contradictoire avec le principe de prudence énoncé auparavant. Trois textes poursuivent la réflexion de façon très pertinente. Bernard Conein et Sébastien Delsalle d’un côté et Nicolas Auray de l’autre travaillent sur les processus de collaboration qui conduisent à la production du système d’exploitation libre, Debian, basé sur le noyau Linux. Les deux premiers se demandent comment il est possible de concilier la quête de l’excellence qui amène à se distinguer les uns des autres et la nécessaire solidarité entre les membres du collectif qui repose sur l’entraide. On apprend, entre autres, que généralement les contributeurs les plus importants se retrouvent aussi officieusement responsables de l’exposition des règles du jeu et qu’il faut accorder de l’importance, dans les échanges, non seulement au contenu mais aussi aux signes de relations. Nicolas Auray se demande pour sa part comment un groupe qui revendique l’adoption de valeurs libertaires peut aboutir à produire un objet complexe répondant à des normes de qualité élevées. Il conclut que la régulation des échanges d’un collectif épistémique passe par la pratique de l’humilité et il parle même de totalitarisme civique, les participants ayant tendance à mettre systématiquement l’accent sur le contrôle de leurs propos lors des échanges. Enfin, l’article de Michael Totschnig conclut la première partie autour de l’étude de deux autres projets libres, Gnus et Emacs. L’auteur s’interroge sur les qualités attribuées aux communautés épistémiques du logiciel libre en mettant, entre autres, en évidence les caractéristiques spécifiques du rapport entre concepteur et usager : le producteur est lui-même consommateur et c’est surtout l’interaction entre développeur et usager qui donne lieu à l’émergence de nouvelles connaissances. L’ensemble forme donc un tout pertinent, mais une question demeure : peut-on vraiment parler d’un nouveau mode de production alors que, problème parmi d’autres, la question du rapport salarial n’est guère posée, voire pas du tout. Tout au plus, apprend-on que, dans quelques entreprises, certains employés peuvent consacrer une partie de leur temps de travail aux pratiques de coopération dont il est question ici. La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux pratiques ordinaires. S’intéressant à des jeunes dont les usages d’Internet sont ancrés …