Comptes rendus

Gilles Gagné (dir.), L’antilibéralisme au Québec au XXe siècle, Québec, Nota bene, 2003, 345 p.[Notice]

  • Gilles Labelle

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  • Gilles Labelle
    École d’Études politiques,
    Université d’Ottawa.

Cet ouvrage est le fruit du premier « Séminaire Fernand-Dumont », tenu à l’Université Laval à la fin de 2001. Il s’agit d’un séminaire fermé regroupant des chercheurs de différentes disciplines des sciences sociales dont le but, comme l’indique le directeur de publication, Gilles Gagné, est de procéder à une sorte de « saisie seconde de la connaissance objective » (p. 16). À l’heure où les universités valorisent plus que tout la recherche subventionnée et souvent très pointue, on ne saurait assez souligner la pertinence d’un tel exercice qui amène non seulement les chercheurs à mettre en commun le résultat de leurs travaux mais également à tenter de faire le point d’une réflexion qui n’a pas de sens si on ne la rapporte pas à l’existence d’une société globale (quelles que soient les limites qu’on prête à cette dernière). L’objet du séminaire était l’antilibéralisme au Québec au XXe siècle dont différentes figures sont examinées : le créditisme (Gilles Bibeau), le corporatisme (Sylvie Lacombe), le syndicalisme (Jean-Marc Piotte), la démocratie de participation (Jean-Jacques Simard), le marxisme (Maurice Lagueux), le totalitarisme (Michel Freitag). Dans un premier temps, les organisateurs ont distingué entre l’antilibéralisme de droite (le créditisme et le corporatisme) et l’antilibéralisme de gauche (le syndicalisme, la démocratie de participation et le marxisme). Cependant, à mesure du déroulement des débats entre les participants (au nombre de trente) et dont l’ouvrage offre le verbatim, ce clivage semble perdre quelque peu de son sens. D’une part, le créditisme, par exemple, n’est pas dénué, loin de là, d’éléments utopiques : l’idée d’abondance et celle d’un revenu garanti à tous peuvent difficilement être considérées sans plus comme univoquement réactionnaires. La dimension parfois naïve et populiste du mouvement créditiste ne doit pas faire oublier tout ce qui l’éloignait au Québec de la morale catholique dominante, qui insistait sur le lien entre le travail et le péché originel et qui récusait en conséquence l’idée d’abondance. En outre, comme le demande Gilles Bourque, n’y aurait-il pas un lien entre l’idée du crédit social et celle de « revenu de citoyenneté », souvent défendue par des penseurs de gauche aujourd’hui (p. 74) ? D’autre part et à l’inverse, la démocratie de participation qui, comme son nom l’indique, n’en avait en principe que pour la participation et la mobilisation des populations, était en réalité une initiative venue d’« en haut », c’est-à-dire d’un État en train de se moderniser et de se « technocratiser » et qui avait le souci d’instaurer des mécanismes de rétroaction susceptibles de lui permettre de manoeuvrer en suscitant le moins de heurt possible. Il y a là de quoi faire réfléchir les enthousiastes de ce que l’on préfère maintenant appeler la « démocratie délibérative », dont le flou qui la caractérise a la curieuse vertu de rallier autant des franges du mouvement altermondialiste et la coprésidente de Québec solidaire que le maire pas vraiment gauchiste de Montréal. Mais c’est à vrai dire l’exposé de Michel Freitag sur le totalitarisme qui envoie en quelque sorte définitivement dans le mur la distinction entre antilibéralisme de gauche et de droite. Dans sa présentation – de loin la plus longue du recueil : cinquante-cinq pages, alors que, par exemple, celle portant sur le marxisme en fait sept –, Freitag déplace complètement le problème, si l’on peut dire. Selon lui, il faut, par-delà l’examen de ses manifestations historiques les plus connues (le nazisme, le stalinisme), tenter de forger un véritable concept sociologique du phénomène totalitaire. Le totalitarisme doit être situé dans le contexte de la crise de la modernité. Celle-ci a en propre de se fonder sur la capacité de …