Comptes rendus

Daniel Marcheix, Le mal d’origine. Temps et identité dans l’oeuvre romanesque d’Anne Hébert, Québec, L’instant même, 2005, 544 p.[Notice]

  • Jacqueline Viswanathan

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  • Jacqueline Viswanathan
    Department of French,
    Simon Fraser University.

Daniel Marcheix analyse la difficile quête identitaire des principaux personnages dans Le mal d’origine. Temps et identité dans l’oeuvre romanesque d’Anne Hébert. L’auteur propose que la majorité d’entre eux échouent dans cette recherche de coïncidence avec eux-mêmes parce qu’ils sont prisonniers de leur passé, incapables de se libérer de la « meurtrissure originelle » ou « mal d’origine » de la séparation à la naissance. Ils sont alors incapables d’accomplir l’« individuation différenciatrice » qui leur permettrait d’émerger comme Sujets. Dans la dernière partie de l’ouvrage, le critique identifie les conditions d’émergence de ces moments de grâce où il leur devient possible de vivre dans le présent et d’atteindre la conscience d’eux-mêmes. Ainsi, la rébellion du corps et sa jouissance, et surtout la conquête de la parole, en symbiose avec l’affirmation du désir, représenteraient les valeurs fondamentales du monde hébertien. Daniel Marcheix s’inspire de « l’affirmation de Ricoeur selon laquelle la littérature est un vaste laboratoire où sont mises à l’épreuve du récit les ressources de l’identité narrative ». Marcheix trouve dans l’oeuvre d’Anne Hébert une illustration des théories du critique français. Comme Ricoeur, il s’attache également à montrer combien la problématique du soi dépend de la façon dont les personnages vivent et se représentent le temps. La première partie de cette étude est donc entièrement consacrée à l’analyse des configurations narratives qui véhiculent l’expérience temporelle des personnages. Après avoir recensé les multiples analepses présentes dans la majorité des récits hébertiens, le premier chapitre caractérise la mise en scène mémorielle à laquelle se livrent les personnages, insistant sur ses aspects négatifs, tels le rejet du réel, la claustration et la défaite de la volonté. Ils se trouvent ainsi enfermés dans un hors-temps « spatialisé et glacé ». Cependant, ce « temps sauvage », titre du deuxième chapitre, renoue aussi avec des lieux mythiques d’origine, le premier jardin ou l’Éden. L’oeuvre d’Anne Hébert apparaît alors comme hantée par une rêverie universelle sur l’identité perdue, l’horreur d’être né et divisé, créant un puissant sentiment de culpabilité. Ainsi se dessine une syntaxe identaire propre à ces récits. Le troisième chapitre en fait ressortir les aspects de circularité. La deuxième partie se concentre sur la « crise des origines » et le stade de l’enfance, marqué par des représentations négatives de la Mère. Elle comprend également une analyse de l’imaginaire de l’espace, en particulier la rêverie aquatique, suivant le modèle de Gaston Bachelard. Le chapitre cinq s’inspire plutôt des travaux de Mircea Eliade, en décrivant la topologie initiatique des romans et enfin, la rencontre avec l’Autre, moment-clé de la conquête identitaire. Chez Anne Hébert, celle-ci conduit le plus souvent à des comportements de ségrégation violente disant l’impuissance à s’intégrer au monde. Certains personnages se vouent au même, refusent l’altérité, se réfugient dans un monde où « tout se confond dans l’informe d’un flou hétérogène ». Ils se condamnent aussi à vivre dans un milieu cacophonique où cohabitent des voix « qui parlent sans se parler ». La ville représente la division et le conflit intérieur du sujet, mais elle est aussi « une métaphore du monde dans ce qu’elle a de désirable pour un sujet assoiffé de vie sensorielle voire sensuelle ». La troisième partie, « Les chemins de l’assomption identitaire », décrit et analyse le parcours de certains personnages féminins qui réussissent à accéder à une nouvelle forme de vie. Elles occupent « un espace intersubjectif et euphorique dans lequel la compassion détermine un rapport d’acceptation solidaire et mutuelle, sans assimilation ni ségrégation dévastatrice ». Au-delà du parcours narratif de ses personnages, c’est par son écriture admirablement proche des sensations et de …