Comptes rendus

Stéphanie Angers et Gérard Fabre, Échanges intellectuels entre la France et le Québec (1930-2000). Les réseaux de la revue Esprit avec La Relève, Cité libre, Parti Pris et Possibles, préface de Marcel Fournier, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 248 p.[Notice]

  • Olivier Dard

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  • Olivier Dard
    Département d’histoire contemporaine,
    Université Paul Verlaine, Metz.

À l’heure où bien des histoires nationales des intellectuels ont été publiées, il est temps de s’attacher à la question des influences et des transferts. Bien des travaux existent en Europe, notamment sur les transferts franco-allemands, mais la question des échanges transatlantiques et notamment franco-québécois a été trop négligée. L’ouvrage de Stéphanie Angers et de Gérard Fabre contribue à combler cette lacune en s’attachant à l’étude des réseaux de la revue Esprit avec quatre publications québécoises des années 1930 jusqu’à 2000, depuis les débuts de La Relève jusqu’à Possibles. Construit logiquement sur un plan chronologique, il distingue trois périodes : les frémissements, centrés sur La Relève, l’âge d’or, dominé par l’épisode de Cité libre et le détachement, à partir de la fin des années 1970 où sont prises en compte les revues Parti Pris et Possibles. S’il comporte quelques erreurs regrettables – la guerre d’Algérie ne s’achève pas en 1963 (p. 150), Simon Nora n’est pas un historien (p. 53) –, l’ouvrage fourmille d’informations utiles, bien synthétisées dans des tableaux présentés en annexes. Le travail est en effet nourri par des sources abondantes : dépouillement des archives de la revue Esprit, des articles des publications considérées et des témoignages oraux. La démonstration d’ensemble est convaincante et remet bien en place la question de l’influence d’Esprit et ses limites sur les publications québécoises. Les quatre publications étudiées puisent incontestablement des références et des thématiques dans Esprit mais c’est pour se les réapproprier et les utiliser dans la configuration québécoise. Le personnalisme, les débats autour de la décolonisation et du tiers-mondisme, puis de l’autogestion constituent des passerelles bien mises en évidence par les auteurs pour montrer les liens entre Esprit et les revues québécoises : ils ne signifient pas un décalque quoi qu’en pensent certains dirigeants d’Esprit. Ayant bien évité l’écueil de la juxtaposition, Angers et Fabre ne tombent pas non plus dans le travers d’une analyse mécaniste des transferts et des réseaux. Les auteurs restituent l’importance de « l’interpersonnalité » au coeur de cette relation, ce qu’a rendu possible l’utilisation de correspondances et de témoignages. Au final, on est en présence d’un travail stimulant qui pourrait en appeler d’autres. À cet égard, il serait utile d’élargir le spectre des publications, afin d’éviter une approche dont le caractère bilatéral n’empêche pas toujours un regard parfois un peu trop internaliste et fragmenté. Il aurait notamment été utile de remettre Esprit davantage en perspective quant à son positionnement et à son évolution dans le paysage intellectuel français et de prendre en compte d’autres supports pour mieux illustrer certains itinéraires. Ainsi, Daniel-Rops, influent à La Relève, incarne beaucoup moins Esprit que L’Ordre Nouveau. Une approche plus panoramique permettrait par ailleurs de mieux faire ressortir les utilisations, voire les instrumentalisations, croisées des deux ensembles de publications. Ainsi, il n’est nullement indifférent de voir Esprit ouvrir ses colonnes aux cité-libristes en 1952 pour dénoncer, à travers eux, l’Action française dont l’écho et l’héritage sont loin d’avoir disparu chez des ci-devant relèves spiritualistes françaises des années trente toujours engagées dans le débat public et qui ont suscité des épigones… en particulier chez les étudiants. Si dans sa « préface française », Marrou rend un hommage appuyé à ce qu’il désigne, non sans exagération, comme « une véritable équipe canadienne d’Esprit », il ne faut pas seulement y voir la volonté de la direction d’Esprit de faire connaître au lectorat français de nouveaux auteurs proches d’elle. Les textes proposés contribuent également à nourrir des débats franco-français… tout comme on l’observe, à l’inverse, pour les années 1960 lorsque …