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L’année 2012 aura été marquée par la publication de deux ouvrages consacrés au Prix d’Europe, une prestigieuse bourse en arts d’interprétation musicale créée en 1911 par l’État québécois pour le perfectionnement à l’étranger. Tandis que l’ouvrage de Jean Laurendeau (Cent ans de Prix d’Europe, Académie de musique du Québec, 2011-2012) s’apparente davantage à une volumineuse « biographie du concours » destinée au grand public, le livre édité sous la direction de Mireille Barrière regroupe sept articles savants découlant du colloque « Les 100 ans du Prix d’Europe. Le soutien de l’État à la musique, de Lomer Gouin à la Révolution tranquille », présenté en avril 2011 à l’Université du Québec à Montréal. L’originalité de ce recueil réside, entre autres, dans le traitement de la thématique sous les regards croisés de la musicologie, de l’histoire, de la sociologie et du droit.

Il est d’ailleurs (agréablement) surprenant qu’un article de droit se soit immiscé dans un ouvrage de sciences humaines. Dans « Reprise da capo à la Cour suprême. L’affaire Payment (1932-1936) », Pierre Issalys analyse l’origine et les répercussions des démêlés judiciaires qui ont eu cours durant quatre ans à la suite des résultats douteux de l’édition de 1932. L’arrêt Académie de musique de Québec c. Jules Payment aura servi de jurisprudence dans d’autres causes québécoises et aura même préparé un tournant capital dans l’évolution du droit administratif.

L’article de Claudine Caron est également particulièrement intéressant car il relève avec précision les liens nombreux et diversifiés unissant le Prix d’Europe et Léo-Pol Morin, pianiste et musicographe. Récipiendaire de la seconde édition du Prix d’Europe, Morin a fait partie du jury vingt ans plus tard (il est d’ailleurs directement impliqué dans l’affaire Payment). Il a également préparé certains de ses élèves de piano au concours et il a agi comme commentateur (voire critique) du Prix tout au long de sa carrière journalistique.

Une organisation bien orchestrée du livre et un travail d’édition soigné – malgré un manque d’uniformisation dans le style des auteurs – a permis de couvrir plusieurs aspects du concours tout en évitant les redites. Mireille Barrière, par exemple, a analysé l’origine du Prix, tandis que Fernande Roy s’est attardée à la place des femmes et Ariane Couture s’est concentrée sur le volet composition. Comme le sous-titre le suggère, la plupart des articles étudient les différentes facettes du concours jusqu’à la fin des années 1960. Ce choix s’est probablement imposé car Bibliothèque et Archives nationales du Québec contient les archives de l’Académie de musique de Québec – l’association qui administre le concours depuis sa fondation – jusqu’en 1971. Toutefois, certains auteurs outrepassent cette limite temporelle. C’est ainsi qu’Ariane Couture aborde brièvement la création en 2009 du Prix [bisannuel] de composition Fernand-Lindsay, surnommé le Prix d’Europe en composition.

Ce livre a le mérite d’avoir savamment analysé les soixante premières années du Prix d’Europe. Comme le mentionne Mireille Barrière dans son introduction (p. 8), l’ouvrage n’épuise pas les recherches sur le sujet, bien au contraire, mais il propose une contribution notable à l’historiographie des politiques culturelles du Québec.