Notes critiques

Louis-Edmond Hamelin, géographe-linguisteLouis-Edmond Hamelin, L’âme de la terre, parcours d’un géographe, Québec, Éditions MultiMondes, 2006. 245 p.[Notice]

  • Marie-Pierre Chevrier

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  • Marie-Pierre Chevrier
    Anthropologue,
    Bureau d’études et de développement,
    Faculté de l’éducation permanente,
    Université de Montréal.

Dans son autobiographie, L’âme de la terre, parcours d’un géographe – un ouvrage qui suscite l’émerveillement par l’ampleur de la réflexion et la qualité de l’écriture – , Louis-Edmond Hamelin dresse un bilan de sa vie personnelle et professionnelle. Il y expose sa théorie de la connaissance et précise sa pensée sur les questions de la nordicité et de l’autochtonie. Émotion, rigueur, cohérence, voilà ce qui caractérise le savant. Les choix professionnels, la méthodologie et l’attitude même de cet homme en perpétuel devenir portent l’empreinte de ses premières expériences de vie. Né à Saint-Didace en 1923, Hamelin partage avec le lecteur des expériences lointaines qui illustrent son parcours de vie. L’ouvrage est divisé en quatre parties : la première retrace les étapes de sa vie, la deuxième rappelle ses expériences professionnelles et appuie certaines des notions scientifiques soutenues dans le cadre de ses activités académiques et institutionnelles. La troisième partie, intitulée Valeurs, expose des prises de position personnelles, sans pour autant tomber dans la justification ou la confrontation. La quatrième est une source documentaire, une chronologie d’activités et une liste détaillée des néologismes sur lesquels le lexicologue a travaillé durant sa carrière. Le bilan autobiographique est narré à la troisième personne et le ton qu’il adopte pour en parler est réaliste. Le volume se termine sur une postface simple et amusante, l’humour étant un des traits de la personnalité attachante de Louis-Edmond Hamelin. La rigueur méthodologique dont fait preuve le scientifique tout au long de sa carrière est illustrée de manière toute particulière par les explications qu’il donne du polygone désignatif. Ce polygone renvoie à un système de classification d’un vaste ensemble de données à caractère variable qu’il a compilées tout au long de sa vie professionnelle. Ce système organise la chronologie des évènements et catégorise les interventions professionnelles et institutionnelles de divers ordres réalisées par l’homme de science. Un corpus de références et d’annotations systématiques, ainsi constitué, permet une reconstruction assez précise de l’oeuvre et, plus avant, jette un éclairage sur les motivations profondes qui ont guidé le cheminement de l’auteur. Le chapitre entier consacré à l’explication du système de classement illustre, certes, les qualités pédagogiques de l’enseignant, la rigueur du scientifique et la persistance inspirée de l’homme qui n’échappent pas, cependant, au lecteur averti. Aux yeux du jeune géographe, la terminologie propre à sa discipline est jugée lacunaire au regard des concepts qu’il cherche à transmettre, comparativement à la banque lexicale spécialisée qui dessert les sciences de la botanique, de la géologie et de la pharmacologie. Le géographe assume la fonction de linguiste, de manière à combler l’insuffisance d’entités vocabulairiques existantes pour les rendre plus aptes à traduire avec justesse les concepts territoriaux et géoculturels des domaines spécialisés qui sont les siens. Il cherche à circonscrire des réalités « spatio-culturelles » dont le vocabulaire géographique demeure imprécis, inexact, voire inexistant. Les référents langagiers revêtent d’autant plus d’importance que, à l’époque où Hamelin s’y intéresse, les traits fondamentaux des territoires nordiques et l’étendue circumpolaire demeurent des objets scientifiques relativement peu explorés. Endosser la fonction de linguiste donne au géographe les outils langagiers qui lui permettent de nommer les entités territoriales telles qu’il les perçoit, c’est-à-dire d’appréhender par le langage « les connaissances nouvelles » qu’il veut mettre à jour au coeur de sa discipline. Les innovations terminologiques qu’il introduit sont en fait des néologismes qui traduisent des concepts géopolitiques et culturels abstraits et fort complexes, qui visent à circonscrire des réalités territoriales imbues d’histoire. Il introduit ainsi des innovations terminologiques dans son champ disciplinaire. L’auteur consacre un chapitre à la création de ces entités vocabulairiques, laissant entrevoir la complexité …