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Jusqu’à présent il était difficile de dresser le portrait des langues utilisées au travail car les chiffres officiels manquaient. Seules quelques études et un ouvrage synoptique (CLF, 1995) contenaient des informations. Le recensement canadien de 2001 a fermé cette brèche dans le paysage linguistique. Langue du travail constitue la première analyse systématique de ces données essentielles au suivi de la situation du français au Québec. Ce rapport révèle que le groupe de langue maternelle française se porte de mieux en mieux sur le marché du travail québécois mais que certaines disparités persistent toujours. Ainsi, ces personnes sont en moyenne moins bilingues et sont proportionnellement moins nombreuses à détenir un diplôme postsecondaire. Elles se retrouvent en concurrence pour les postes de professionnels avec les personnes de langue maternelle tierce par ce fait. Le français est utilisé par la majorité des travailleurs mais l’anglais est très présent dans l’île de Montréal. Les personnes de langue maternelle anglaise sont celles qui se servent le plus de cette langue alors que les individus de langue maternelle tierce utilisent l’anglais et le français au travail dans les mêmes proportions (autour de 40 %). On observe un lien entre la langue utilisée à la maison et celle pratiquée principalement au travail.

Le premier volet de l’ouvrage constitue une sorte de suivi de la situation de la population active sur le marché du travail au Québec. Certains indicateurs publiés pour la première fois dans un rapport du Conseil de la langue française (1995) ont été mis à jour, d’autres modifiés et quelques nouveaux ont été créés. Ce fascicule de référence rapide est caractérisé par la simple description de la tendance observée et n’avance pas d’explications des phénomènes observés. Depuis les années 1980, la population de langue maternelle française n’est pas celle qui est la plus affectée par le chômage, rang désormais occupé par la population de langue maternelle tierce. La représentation graphique de cette évolution aurait grandement profité de l’inclusion des statistiques provenant des recensements antérieurs à 1991. Dans la RMR de Montréal, la proportion de professionnels est la plus élevée dans le groupe de langue maternelle anglaise alors que, à l’extérieur de cette région, ceci est le cas du groupe de langue maternelle tierce. Plutôt que de présenter la répartition professionnelle des trois groupes linguistiques uniquement dans le secteur privé (CLF, 1995), la nouvelle version inclut les travailleurs de tous les secteurs d’activité économique. Le taux de bilinguisme dans la population active peut constituer un premier indicateur concernant les langues utilisées au travail bien qu’il surestime probablement le comportement linguistique réel. La connaissance des deux langues officielles a progressé dans l’ensemble de la population active et dans l’ensemble du Québec ; il s’agit cependant d’un phénomène typique de l’île de Montréal. La population de langue maternelle anglaise est celle dont le taux de bilinguisme est le plus élevé (77 %), suivie par celle de langue maternelle tierce (64 %). Une comparaison avec les statistiques publiées en 1995 aurait montré que les personnes de langue maternelle tierce, dans la RMR de Montréal, avait déjà dépassé le taux de bilinguisme des personnes de langue maternelle française en 1986. Le progrès du bilinguisme est particulièrement remarquable auprès des professionnels et techniciens de langue maternelle française ainsi qu’auprès des non-cadres de langue maternelle anglaise. Le rapport souligne la progression plus rapide de la connaissance du français, comparée à celle de l’anglais, auprès des professionnels de langue maternelle tierce entre 1991 et 2001.

La deuxième partie du fascicule porte essentiellement sur la langue utilisée au travail. Les statistiques se réfèrent au lieu de travail de manière à inclure les individus qui travaillent à cet endroit plutôt que ceux qui y habitent. Le français est la principale langue du travail de la majorité des travailleurs au Québec (92,8 %), dans la RMR de Montréal (72,4 %) et dans l’île de Montréal (64,8 %). C’est sur l’île de Montréal que l’utilisation de l’anglais est la plus répandue. Un travailleur sur quatre s’y sert de cette langue de façon prédominante. Les navetteurs qui voyagent de la couronne de Montréal vers leur lieu de travail dans l’île de Montréal se servent un peu moins du français que ceux qui occupent un emploi dans la couronne. L’utilisation de l’anglais est généralement liée au secteur d’activité économique. Certains endroits (île de Montréal), sous-secteurs économiques (gestion, industrie de l’information et services professionnels) et membres de groupes linguistiques (ceux de langue maternelle anglaise) affichent une pratique prédominante de l’anglais au travail. En outre, plus une profession exige une formation technique ou universitaire, plus l’anglais est utilisé.

La pratique linguistique au travail diffère cependant selon la langue maternelle du travailleur. Il apparaît que la population active travaille généralement dans sa langue maternelle ou celle utilisée à la maison quand il s’agit des langues officielles. Dans l’île de Montréal, les individus de langue maternelle tierce utilisent le français dans une proportion de 40,1 %, alors que seulement 16,3 % des personnes de langue maternelle anglaise adoptent cette pratique. La prédominance de l’anglais cesse chez les travailleurs ayant immigrés depuis 1971. La tendance est en recul pour les cohortes récentes et l’anglais au travail prédomine chez les immigrants arrivés depuis 1991. Il est cependant possible que cela corresponde à un développement plus général du marché du travail, lequel, sous l’influence des relations commerciales internationales, exige plus souvent des communications en anglais. Il aurait ainsi été intéressant de comparer l’utilisation de l’anglais au travail parmi les cohortes d’immigrants à celle des différents groupes d’âge des travailleurs non immigrés.

Le sous-titre du fascicule éveille l’attente d’une mise à jour de la première publication du CLF datant de 1995. Par un souci de comparabilité exacte peut-être un peu exagéré (cf.Castonguay, 2005), les recensements de 1971 à 1986 n’ont pas été reproduits même pour les indicateurs qui n’ont pas subi de modifications. Il aurait été avantageux pour le lecteur intéressé à un portrait évolutif de la situation des groupes linguistiques sur le marché du travail au Québec depuis la Révolution tranquille qu’un lien plus explicite ait été établi avec d’autres recherches et publications sur le sujet. L’absence de références en ce sens n’encourage pas l’étude plus générale des langues présentes sur le marché du travail. De plus, la terminologie utilisée antérieurement a été remplacée depuis la publication de cette nouvelle série de fascicules en 2005. Les groupes linguistiques qui étaient désignés comme « francophones », « anglophones » et « allophones » (cf. CLF, 1995) s’appellent maintenant « personnes de langue maternelle française, anglaise et tierce ». Les « transferts » linguistiques sont devenus des « substitutions » linguistiques. Ces derniers changements rendent certes la terminologie plus claire (il est en effet possible qu’un « allophone » – défini selon la langue maternelle – soit un « francophone » parce qu’il parle français à la maison) mais on aurait souhaité une note avec référence à ce sujet. Ce changement se trouve déjà dans OQLF (2005) et à Castonguay (2005).

Cependant, ce fascicule constitue une première analyse des données censitaires très attendue et fournit une information générale de base sur la place des groupes linguistiques sur le marché du travail au Québec ainsi que sur leur comportement linguistique professionnel. Il servira certainement d’ouvrage de référence lorsque les statistiques officielles seront citées.