Comptes rendus

Jean Du Berger, Le diable à la danse, Québec, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2006, 246 p.[Notice]

  • Denise Lamontagne

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  • Denise Lamontagne
    Université de Moncton.

Ethnologue réputé et, il faut l’ajouter, fabuleux conteur, Jean Du Berger a finalement consenti à publier sa thèse de doctorat pour le plaisir du plus grand nombre. Il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter du sort de cette publication comme il le suggère en ouverture de son Diable à la danse lorsqu’il avertit le lecteur de son scepticisme devant la réception de la publication d’une thèse de doctorat qui, selon lui, nous renvoie trop souvent à l’univers mortifère des cimetières. « Au dos du livre, en lettres d’or, un nom, Jean Du Berger, une date, 1980, un numéro, 4362. En regardant ces étagères où s’alignent à l’infini les dos des volumes noirs, j’ai toujours l’impression de visiter un cimetière. Untel, mort à la recherche telle année » (p. 11). Heureusement, Jean Du Berger n’est pas mort à la tâche, il a même réussi à rendre accessible et agréable à lire une analyse fort complexe des multiples variantes de cette légendaire histoire du diable à la danse. C’est presque à pas de loup que nous pouvons suivre les métamorphoses de ce diable beau danseur qui se légende au fil du temps et qui a réussi à se faufiler au panthéon de la littérature dite savante. L’histoire du diable beau danseur fut en effet immortalisée par Philippe Aubert de Gaspé fils (1814-1841) après avoir fait sa première apparition officielle en littérature en 1837 dans le premier roman du Canada français, L’influence d’un livre. À tout seigneur, tout honneur, notre diable beau danseur est entré en scène au chapitre cinquième sous le titre L’étranger. On ne saurait trop s’étonner du lien entre la figure du diable et celle de l’étranger puisque le diable, c’est d’abord et avant tout l’autre de la culture, l’ombre de la culture, et dans cette analyse, c’est l’adversaire qui provoque la perte de l’héroïne par la libre actualisation de la pulsion sans cesse refoulée par les exigences de la culture. La morale de cette histoire du diable à la danse rappelle que la culture, ce remodelage de la nature, est sans cesse à refaire et qu’elle peut, en une seule soirée de danse… se défaire. Véritables miroirs de l’inconscient collectif, les multiples variantes de l’histoire du diable à la danse en diraient plus long sur le processus d’hominisation et de socialisation que bien des traités de sociologie compréhensive. Ce sombre personnage de nos rêves qui surgit pendant la nuit a beau connaître des centaines de versions différentes, Jean Du Berger a réussi à en isoler une séquence narrative composée de huit éléments clés prenant ainsi la bête par les cornes pour nous faire voir la scène primitive. Cette histoire de transgression met en scène le plus souvent une jeune fille (immortalisée au Canada français sous le nom de Rose Latulipe) qui aime trop la danse (pratique interdite) et que la désobéissance pousse dans les bras du diable danseur, ce bel étranger, bien habillé (le plus souvent vêtu de noir), coiffé d’un chapeau (pour cacher ses cornes) et portant des gants (pour cacher ses griffes) qu’il refusera d’enlever tout au long de la soirée pour ne pas être démasqué. Au fur et à mesure que la soirée avance, l’action s’accélère (c’est connu, la stratégie du diable réside dans la vitesse d’exécution), la coquette est envoûtée dans le tourbillon de la danse et le malin sera démasqué. L’héroïne sentira les griffes de son beau danseur l’agripper et c’est grâce à l’entourage que l’enlèvement sera parfois (parfois !) mis en échec. Le diable beau danseur a beau être rapide et agile dans ses mouvements, ses pieds de bouc n’échapperont …