Comptes rendus

Olivier Marcil, La raison et l’équilibre. Libéralisme, nationalisme et catholicisme dans la pensée de Claude Ryan au Devoir (1962-1978), Montréal, Les Éditions Varia, 2003, 291 p. (Histoire et société.)[Notice]

  • E.-Martin Meunier

…plus d’informations

  • E.-Martin Meunier
    Département de sociologie et d’anthropologie et CIRCEM,
    Université d’Ottawa.

S’il est une pensée tout originale et énigmatique qui a cherché d’un même souffle à embrasser le fédéralisme et le nationalisme, le catholicisme et le libéralisme, c’est bien celle de Claude Ryan. C’est à cet « homme de l’équilibre » que s’est attaqué Olivier Marcil pour son mémoire de maîtrise en science politique, base de ce livre. Ambitieux, l’ouvrage se présente comme une interprétation synthétique de la pensée de Ryan à partir, essentiellement, de ses articles dans le Devoir à titre de rédacteur en chef. Le livre – le premier écrit sur Claude Ryan depuis celui d’Aurélien Leclerc en 1977 (autre mémoire de maîtrise) – prend non seulement une importance renouvelée du fait que Claude Ryan est décédé le 9 février 2004, mais aussi parce que depuis, ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser à l’étude de son oeuvre et de son engagement. C’est notamment le cas de l’historien Michael Gauvreau qui travaillerait à la rédaction d’une biographie de cet homme. Jusqu’à ce jour le meilleur ouvrage que l’on puisse trouver sur Claude Ryan, le passionnant essai de Marcil tisse en quelque sorte la trame des questionnements et des hypothèses fortes pour qui désire comprendre le sens de l’oeuvre et de l’engagement de l’ancien secrétaire national de l’ACC, de l’ancien rédacteur en chef du Devoir et de l’ancien chef du Parti libéral du Québec. Sur cette question, nul ne pourra faire l’économie d’un dialogue avec les idées proposées par Marcil. Pour un mémoire de maîtrise et un premier ouvrage, admettons-le : c’est une entrée pas mal réussie ! L’ouvrage de Marcil reprend trois grands thèmes de l’oeuvre et de l’engagement de Ryan (la question nationale, la question linguistique et la question religieuse) qu’il conjugue chronologiquement à partir de trois périodes historiques en amont de la Révolution tranquille (grosso modo, celle de la commission Laurendeau-Dunton et de ses suites ; celle de l’élection du PQ et de la loi 101 ; et, d’une manière moins définie, celle de l’aggiornamento de l’Église catholique lors de Vatican II et de ses suites). Outre la dernière partie qui n’égale pas la qualité des deux autres (nous y reviendrons), le tout se tient très bien – surtout si l’on considère l’immensité du corpus analysé : environ 3000 éditoriaux et articles de 1962 à 1978. L’une des forces de l’ouvrage tient dans son va-et-vient constant entre la chronique et l’interprétation de l’oeuvre de Ryan. Reposant essentiellement sur les écrits journalistiques, le lecteur est ainsi replongé au coeur de l’actualité et, à rebours, peut considérer de nouveau la contribution sociale, politique et religieuse de Ryan non pas dans l’absolu, mais au coeur de l’événement. Cette façon de faire – aussi ingénieuse que classique – porte fruit et remet radicalement en question le bien-fondé de maints discours stéréotypés au sujet du personnage Ryan. L’auteur s’inscrit donc à sa manière dans une nouvelle sensibilité historique qui, à partir de l’histoire des idées, cherche à interroger, sinon à critiquer les récits dominants. L’une des idées fortes de Marcil est de montrer combien le libéralisme de Ryan a été conjugué, sinon forgé, à partir d’une conception nationaliste cherchant à asseoir une conception dualiste, bilingue institutionnelle et bi-sociétale du Canada. On y retrouve évidemment l’idée du pacte des deux nations, mais aussi la conception biculturelle mise de l’avant notamment par Laurendeau-Dunton. Si Marcil prend soin de montrer l’évolution fine du nationalisme de Ryan et ce, jusqu’à sa transformation dans une affirmation d’un fédéralisme asymétrique, il ne situe malheureusement pas son discours par rapport aux autres écrits de l’époque. Cela aurait aidé à mieux illustrer le degré d’originalité ou de conformité …

Parties annexes