Comptes rendus

Jean-Philippe Warren,Ils voulaient changer le monde. Le militantisme marxiste-léniniste au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2007, 252 p.[Notice]

  • Micheline De Sève

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  • Micheline De Sève
    Département de science politique,
    Université du Québec à Montréal.

Pendant une décennie, dans la foulée du syndicalisme étudiant, des luttes ouvrières et du militantisme nationaliste radical des années 1960, divers groupuscules se réclamant du maoïsme et de la « science » du marxisme-léninisme se disputeront l’allégeance d’un noyau composé de quelques centaines de prétendants au titre de révolutionnaires professionnels. Leur pourcentage de voix, pour celles qui se présenteront aux élections provinciales, se calculera en dixièmes de point ; elles se disputeront néanmoins les faveurs d’une « périphérie » de quelques milliers de sympathisants ou de « camarades » pompeusement transformés en masses prolétaires opprimées. Trois de ces organisations surtout, le Parti communiste canadien (marxiste-léniniste), En Lutte et la Ligue communiste (marxiste-communiste) du Canada, qui deviendra ensuite le Parti communiste ouvrier (PCO), prétendront chacune énoncer « la ligne juste » et revendiqueront le statut exclusif de parti dirigeant appelé à conduire en sol canadien la Révolution communiste à grand renfort « d’agit-prop ». Retenant pour objet les deux dernières formations, hégémoniques sur la scène de l’extrême-gauche au Québec, Jean-Philippe Warren, titulaire de la Chaire d’études sur le Québec à l’Université Concordia, retrace l’épopée du « Québec rouge » en se replongeant dans les archives disponibles ; en puisant dans les entrevues dispersées dans quelques mémoires ou thèses – en particulier les quinze entrevues rassemblées dans la thèse de doctorat en anthropologie de Diane Lessard (Université de Montréal, 1990) sur le militantisme marxiste au féminin ou celles menées par Jean-Marc Piotte (La communauté perdue (1987) – et en poursuivant la réflexion amorcée brièvement dans de rares analyses, telles celles de Lucille Beaudry, de Robert Comeau, de Gordon Lefebvre ou de Pierre Milot. Le premier chapitre s’attache à comprendre la montée de fièvre du radicalisme gauchiste face à un État butant sur l’obstacle du « système électoraliste capitaliste » et ce, sur fond d’inégalités sociales criantes, de chômage endémique et de salaires anémiques. L’espoir de transformation déçu des couches les plus militantes du mouvement nationaliste pousse vers la rupture. La contestation gonfle pour annoncer, cette fois, une révolution communiste pure et dure en faveur du prolétariat opprimé. Le deuxième chapitre retrace le cheminement laborieux des multiples groupes maoïstes pour construire l’instrument de cette révolution, soit le Parti dirigeant de la classe ouvrière, un parti capable d’entraîner « les masses » vers la réalisation du paradis socialiste sur terre. Ce qui ressort, c’est surtout la compétition idéologique entre En Lutte et le Parti communiste ouvrier (PCO), qui communiquent par anathèmes. L’essentiel de leur action se résume à dénoncer publiquement leurs adversaires internes dans le camp marxiste-léniniste, à signaler les déviations des « traîtres » trotskistes, des « corporatistes » syndicalistes ou des féministes « petites-bourgeoises » qui rechignent à leur férule. Le troisième chapitre dépeint la vie militante de ceux et celles qui engouffrèrent des années dans des discussions sans fin autour de la supériorité respective du modèle albanais ou du modèle chinois pour parvenir au but politique recherché, et des modalités d’adaptation desdits modèles à la réalité québécoise et (ou) canadienne, la frontière restant lourde d’ambivalence. Le paradoxe qui crève les yeux est celui de l’oblation du libre-arbitre de centaines d’agitateurs professionnels à leurs dirigeants au nom d’une soi-disant théorie scientifique édictée d’en haut avec une poigne dictatoriale excluant tout sens critique. Il fallait réaliser l’unité de fer du prolétariat, ce qui réduisait l’individu mobilisé à l’insignifiance. Enfin, le quatrième chapitre suit l’effondrement du mouvement au début des années 1980, la chute brutale d’organisations grugées par la révolte féministe et par le doute, délaissées en masse par des militants soudains ramenés au réel par l’effondrement du socialisme à l’Est, les ratés …