Comptes rendus

Thomas Wien, Cécile Vidal et Yves Frenette (dirs), De Québec à l’Amérique française. Histoire et mémoire, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, 403 p.[Notice]

  • Anne Gilbert

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La Nouvelle-France et le grand éparpillement canadien-français qui a pris de l’ampleur à partir des années 1860 sont rarement évoqués dans le même souffle. Les deux époques sont en effet fort différentes, la première étant coloniale et préindustrielle, la seconde, bien que non dépourvue d’aspects coloniaux, étant contemporaine et industrielle. Les deux se livrent ainsi à nous à travers des sources, des approches, des méthodes, des concepts et des débats qui sont propres à chacune d’elles et qui renforcent les hésitations à les réunir dans la longue durée. Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à explorer cette durée plus longue pour autant. Selon Wien, Vidal et Frenette, on ne saurait en effet comprendre l’espace continental qu’est l’Amérique canadienne-française sans l’ancrer dans son histoire plus ancienne. Ils allèguent que le vaste mouvement d’émigration qui a mené à l’expansion de l’aire francophone hors de la vallée du Saint-Laurent a trouvé dans la Nouvelle-France un réservoir quasi inépuisable de précédents, d’analogies et de modèles, et que les associations tant mythiques qu’essentialistes entre l’un et l’autre sont étroites. Ainsi missionnaires, pionniers et explorateurs de la Nouvelle-France ont marqué le discours sur l’Amérique canadienne-française, tout comme celle-ci est venue infléchir à son tour le récit de leurs exploits. Un tel constat a incité Wien et ses collaborateurs à étudier les images de ces deux entités francophones dans leur convergence et leur modulation réciproque, le temps d’un colloque, organisé sous l’égide de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs à Québec en 2003. Le présent ouvrage, réunissant une vingtaine de textes portant sur divers contextes où ces représentations ont été formulées, en est l’aboutissement. Le livre est divisé en quatre parties. Les deux premières portent sur le récit de la Nouvelle-France sans cesse remis sur le métier au gré de la longue tradition migratoire des Canadiens français. Les prises de vue y sont nombreuses et variées. Certaines portent sur le passé plus ancien, voire contemporain du Régime français, alors que d’autres s’approchent davantage du présent. Une diversité correspondante caractérise le groupe des énonciateurs étudiés, qui englobe notamment des personnes au service de l’Ancien Régime ou à la tête de l’Église canadienne, des lettrés qui commentent l’Amérique canadienne-française, des écrivains, puis des universitaires qui mettent en récit l’histoire aux XIXe et XXe siècles. La démarche de ce premier volet de l’ouvrage consiste à montrer, comme le souligne Thomas Wien dans son excellente introduction, comment ces récits historiques « migrent d’une forme de société à l’autre ». Comment le Régime français a-t-il été perçu par la postérité ? Les six textes de la première partie nous aident chacun à leur façon à saisir comment se raconte cette histoire coloniale. Le premier nous ramène aux relations qu’en font ses propres acteurs (Ouellet), dans ce cas-ci le jésuite Lejeune et le militaire Lahontan, qui nul doute ont influencé, de par leur portée, celles et ceux qui après eux ont dû donner ensuite leur propre version de l’histoire. Celle qui a été proposée par l’Église (Hubert), plus précisément les évêques entre 1760 et 1850, voit par exemple dans la Nouvelle-France un lieu de piété exemplaire. Ce discours cacherait difficilement une velléité politique, qui vise à puiser dans le passé les ingrédients voulus par les élites pour se projeter dans l’avenir. Les histoires générales qui se tissent et se retissent tout au long du XIXe siècle insistent quant à elles sur les batailles et héros du Régime français, incapables de trouver ailleurs que dans ces derniers la cohérence de l’époque (Wien). L’analyse de chantiers récents montre par ailleurs le défi posé par la prise en …