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Cet ouvrage d’à peine 100 pages de texte reprend le mémoire de maîtrise de Jean-Richard Gauthier déposé en 2001 à l’Université de Montréal. Peu remanié, semble-t-il, on y retrouve tout l’appareillage habituel : l’état des connaissances et la problématique dans l’introduction, un développement en quatre chapitres et une conclusion sous forme de synthèse. La bibliographie exhaustive comprend 130 références ! Outre les documents archivistiques et les sources primaires, l’auteur propose notamment de nombreux ouvrages sur l’histoire de la médecine et des sciences en France et en Nouvelle-France.

En fait, l’objectif de Gauthier est de « combler les lacunes historiographiques sur la pratique de la médecine en Nouvelle-France » (p. 15) et, dans la mesure où les documents le lui permettent, il y arrive bien, Michel Sarrazin lui servant de prétexte.

D’abord chirurgien de navire, Michel Sarrazin arrive en Nouvelle-France en 1686, à l’âge de 25 ans. Deux ans plus tard, il est promu chirurgien-major. Il est retourné en France en 1694 où il a obtenu un diplôme en médecine, puis il est revenu en Nouvelle-France en 1697 avec le titre de médecin du roi. Il y est demeuré jusqu’à sa mort, en 1734.

C’est précisément cette tranche chronologique qui rend cet ouvrage intéressant puisque, du point de vue scientifique, les avancées sont majeures même si, à nos yeux, les moyens sont pour le moins rudimentaires. Traditionnellement, le chirurgien, qu’il soit chirurgien de navire ou chirurgien-major des troupes, est un manuel, un « mécanicien », qui a appris, auprès d’un maître, à saigner, à cautériser les plaies et à amputer un membre. Le médecin par contre fait son apprentissage dans les facultés de médecine et, pour obtenir un doctorat, il doit faire un stage de deux ans auprès d’un médecin. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la médecine que l’on pratique est celle héritée de l’Antiquité : il s’agit essentiellement d’« équilibrer les humeurs ». Mais être médecin du roi dans une colonie ce n’est pas être médecin du roi en France : ici « il ne s’agit pas de soigner Sa Majesté, mais les sujets de celle-ci » (p. 32), les troupes en premier lieu. En théorie son pouvoir est grand : outre ses visites aux malades dans les hôpitaux où il prescrit des remèdes, il gère l’ensemble des besoins médicaux de la colonie et a droit de regard sur la pratique des chirurgiens, des apothicaires et des sages femmes (p. 35 et s.).

Or, au cours du XVIIIe siècle, les chirurgiens deviennent des cliniciens (p. 52). Les nombreuses études faites en anatomie seront leur fer de lance, désormais ils examinent eux-mêmes les patients pour déceler les anomalies : ils observent les faits et étudient les symptômes, rendent des diagnostiques et font des pronostics. Ils n’opèrent plus à tout prix (p. 53). Toutes ces nouvelles connaissances sur la chirurgie sont rapidement diffusées, et n’elles arrivent en Nouvelle-France – et dans la bibliothèque de Michel Sarrazin – qu’avec peu de retard. À partir de l’inventaire après décès et de documents d’époque, Gauthier conclut que ce médecin recourt fréquemment à la chirurgie, ce qui « était théoriquement interdit au médecin » (p. 57).

Par ailleurs, le XVIIe siècle français est aussi celui de la mise en place des Académies – dont l’Académie des sciences en 1699. Michel Sarrazin y sera nommé naturaliste et, en tant que tel, il sera un correspondant à l’Académie des sciences et botaniste pour le Jardin du roi, deux activités liées en quelque sorte à la pratique médicale. En 1706, il sera nommé par le gouverneur au Conseil supérieur, la plus haute cour de justice de la colonie.

En somme, Michel Sarrazin fait partie des gens du monde. Si la base de son réseau social est liée à sa profession, il côtoie « l’élite de la colonie dont il adopte leur style de vie [et] tire une bonne part de ses revenus de l’État » (p. 96). En 1712, il épousera Marie-Anne Hazeur, fille d’un riche marchand de la ville décédé quelques années auparavant ; elle a 20 ans et lui, plus de 50. Parmi les invités on note la présence de Claude de Ramezay, de Philippe de Rigaud de Vaudreuil et de Charles Le Moyne de Longueuil ! Ils auront sept enfants, mais seulement deux vivront plus de vingt ans.

Ce petit ouvrage est agréable à lire, et ce, malgré les nombreuses redondances et les illustrations qui, au total, occupent plusieurs pages et ne sont pas toujours pertinentes. Pour ceux que l’histoire de la médecine intéresse, la bibliographie s’avère un précieux outil.