Comptes rendus

Graham Fraser, Sorry, I Don’t Speak French : Confronting the Canadian Crisis that Won’t Go Away, Toronto, McClelland & Stewart, 2006. En traduction française, Sorry, I Don’t Speak French. Ou pourquoi quarante années de politiques linguistiques au Canada n’ont rien réglé… ou presque, Montréal, Boréal, 2007.[Notice]

  • Charles Castonguay

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Originaires d’Ottawa et de langue maternelle anglaise, Fraser et moi avons au départ beaucoup en commun. Ainsi ce livre a d’abord captivé l’Anglo-Ontarien en moi. À l’usage, cependant, il a déçu le Québécois que je suis devenu. L’auteur précise, dans la version française, qu’il a écrit son livre pour des lecteurs canadiens-anglais afin de raviver leur intérêt pour la politique linguistique canadienne et l’apprentissage du français. À ses yeux, ces éléments demeurent d’une importance cruciale pour l’unité canadienne. Ils me paraissent toutefois répondre trop faiblement aux aspirations du Québec d’aujourd’hui que préoccupent davantage, par exemple, les ratés du français comme langue commune à Montréal. Au rayon de l’interprétation du différend Québec-Canada par un journaliste anglo-ontarien ayant longuement séjourné au Québec, Ray Conlogue a fourni en 1996, dans Impossible Nation : The Longing for Homeland in Canada and Quebec, une analyse bien plus profonde de l’incompréhension entre les deux sociétés. Fraser est cependant devenu Commissaire aux langues officielles du Canada peu après la parution de ce livre. Il n’est donc pas sans intérêt de prendre connaissance de ce qu’il avait à dire à ses concitoyens anglophones. Je conseille la version d’origine à ceux qui entendent l’anglais. La version française contient quelques paragraphes additionnels, ajoutés à la préface ainsi qu’à la fin du dernier chapitre et de la conclusion, rédigés surtout en guise de prise en compte des résultats des élections fédérales de 2006. Fraser y raconte toutefois à deux reprises la même anecdote concernant l’incidence néfaste de l’unilinguisme de Belinda Stronach sur ses aspirations à la chefferie du Parti libéral, ce qui trahit le peu de soin accordé à la version française. La traduction n’est d’ailleurs ni inspirée ni toujours juste. L’auteur traite d’abord des événements qui ont conduit à la mise sur pied de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme dans les années 1960. Il en suit les tractations en bonne partie par le truchement des journaux tenus par André Laurendeau et Frank Scott, et apprécie l’influence respective de ces derniers sur Camille Laurin et Pierre Elliott Trudeau. Il survole ensuite la mise en oeuvre de la Loi sur les langues officielles et le travail du premier commissaire aux langues officielles du Canada, évalue l’incidence des politiques linguistiques québécoise et canadienne à Montréal et à Ottawa, fait état des changements connexes survenus dans le monde de l’éducation, touche à la question linguistique dans les forces armées, les organisations bénévoles et la fonction publique fédérale et, enfin, souligne comment la maîtrise de l’anglais et du français est devenue indispensable aux dirigeants politiques à l’échelle canadienne. J’ai trouvé particulièrement instructives les informations sur le rôle de Scott durant la commission BB et sur son influence marquante comme éminence grise de Trudeau. Jusqu’à l’expression « société juste » que Trudeau a pigée dans un écrit de son mentor. L’histoire politique de langue française n’a peut-être pas accordé assez d’attention à l’empreinte de Scott sur la commission, notamment à sa défense acharnée du Québec anglais et à sa résistance absolue à tout changement constitutionnel qui donnerait plus de pouvoirs au Québec. Trop empressé, cependant, à faire valoir la thèse selon laquelle la loi 101 a rendu caduc un élément majeur de l’argumentaire souverainiste au Québec, Fraser présente la Charte de la langue française comme intacte, malgré de nombreuses contestations judiciaires et la nouvelle constitution du Canada, et le Québec comme à toutes fins utiles une société de langue française à l’intérieur de la Confédération canadienne. Or, des volets importants de la Charte sont tombés devant les tribunaux. Fraser ne relève même pas que Trudeau et les neuf autres provinces …