Comptes rendus

Pierre Lucier, L’Université québécoise : figures, mission, environnements, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 179 p.[Notice]

  • Jacques Desautels

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L’université d’aujourd’hui intrigue les Anciens et inquiète les Modernes. Son dynamisme éclate, sans toutefois que les contemporains voient où elle s’en va. Usine à diplômes ? Auberge espagnole ouverte aux gens de tous les âges ? Succursales des grandes entreprises auxquelles elle a vendu son âme ? Institution totalement asservie aux impératifs du néo-libéralisme, ou bien trop liée au développement économique régional ? Elle qui a fait trembler les princes au cours des siècles, exerce-t-elle la fonction critique qui lui vaut sa liberté ? Est-elle encore une maison de culture, un lieu d’effervescence et de création ? Ceux et celles qui ont vécu l’essor des sciences sociales, qui ont été formés aux valeurs humanistes traditionnelles, ont-ils raison de suspecter que « le positionnement des savoirs » ait réduit les sciences humaines à une fonction tout au plus décorative dans l’université d’aujourd’hui ? Tous ces questionnements et bien d’autres illustrent les sujets – souvent brûlants – qu’aborde Pierre Lucier dans ce livre. Aucune rudesse dans son propos toutefois ; le ton est à l’analyse fine, à la nuance, à la mise en place d’un document qui, in se, pourrait tenir lieu d’une vaste Commission d’études sur l’université. Après avoir tracé avec soin les traits de l’université québécoise, en s’arrêtant notamment à son statut de service public (1re partie), l’auteur consacre les pages les plus lumineuses de son essai à la mission de l’université et à ce qu’il appelle « son déploiement » (2e partie) : s’appuyant sur la mission essentiellement éducative de l’université et sur sa fonction critique, il analyse avec acuité la situation actuelle de nos institutions et s’interroge sur leurs succès et leurs dérives, ce qu’il fait avec autant de sérénité que de sévérité. La 3e partie, qui porte sur « les contextes et les environnements » de l’université, aborde des thèmes comme l’évaluation de la qualité et l’imputabilité des universités, et le rôle des pouvoirs publics à l’égard de celles-ci. Le lecteur sera particulièrement intéressé par le contenu des chapitres traitant des enjeux de la mondialisation et de l’internationalisation des savoirs sur l’université. Un livre bien écrit, à la démarche limpide et à la structure on ne peut plus rationnelle : il faut lire les premiers paragraphes de chacun des chapitres pour se rendre compte de la clarté du discours à venir et de la rigueur du raisonnement de l’auteur. Un livre bien écrit, disais-je, une réflexion exceptionnelle et, plus encore, un exercice de discernement que devraient partager tous les professeurs et les administrateurs de l’enseignement dit supérieur, ainsi que les membres de leurs conseils d’administration. Sans doute aussi les étudiants, puisqu’ils sont au coeur de la mission universitaire : ils y trouveront une profonde matière à réflexion. Soit dit en passant, on pourrait souhaiter également que les médias utilisent les propos de Pierre Lucier pour commenter les débats qui ont cours sur l’éducation au Québec ; ils y cueilleraient des pistes de choix pour démystifier l’université et familiariser le public avec le monde universitaire. J’ai à l’esprit, par exemple, les définitions que l’auteur donne de la culture dans le chapitre qu’il consacre à « L’université, maison de culture et de création » (p. 85-100). Cette réflexion, il la poursuivra, au chapitre suivant, « L’université et la formation professionnelle » (p. 101-106), qu’il conclura par un développement aussi surprenant qu’original sur « la technologie comme espace culturel ». Dans la même veine, qui s’intéresse aux débats touchant le monde universitaire lirait avec profit les pages nombreuses que l’auteur consacre «  à l’exercice d’une saine fonction critique » dans l’université : un thème encombrant dont …