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Cet ouvrage n’est pas une collection de textes issus d’un colloque, mais le fruit d’un travail collectif : les chapitres en ont été écrits par les membres d’une équipe de recherche – dont plusieurs doctorants – et s’ils peuvent se lire séparément, ils gagnent à l’être les uns à la suite des autres.

La question de départ est la suivante : les nouvelles formes de militances dans cette ère numérique, comme la programmation de logiciels libres ou open source (par opposition aux « logiciels propriétaire » assujettis au copyright comme ceux produits par Microsoft) et la lutte pour la gratuité à l’accès à Internet dans certains espaces publics, annoncent-elles un « renouvellement de l’action communautaire traditionnelle » (p. 2) ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que « les outils nécessaires à acquérir pour intégrer les communautés du libre sont difficiles à maîtriser » (p. 29).

Le souci pour l’appropriation démocratique de l’informatique est à la base de l’action de ces militants du code comme les appellent globalement les auteurs, et parmi lesquels il est possible de distinguer les militants de l’accès qui luttent surtout pour la diffusion de logiciels libres et le partage de connexions sans fil, les militants communicationnels qui se penchent sur la dimension politique de « la communication et de la collaboration en ligne » (p. 167), et ceux qu’on pourrait nommer au sens strict militants du code, qui travaillent sur les dispositifs techniques, et conçoivent par exemple des logiciels libres. Tout ceci est étudié à partir du Québec, en fait de Montréal. Quatre études de cas sont d’abord proposées avant que d’être analysées conjointement sous divers angles : pratiques collaboratives, place des femmes dans le monde très masculin de l’informatique communautaire (par opposition à leur place prépondérante dans l’ensemble du secteur communautaire), rapport entre les chercheurs et ces groupes et l’effet sur les groupes d’être ainsi étudiés ; en effet, cette recherche collective se pose globalement comme recherche-action et certains chapitres sont le fruit d’une ethnographie participative. Le dernier chapitre rend compte d’une discussion entre les chercheurs et les groupes étudiés dans une démarche d’intervention à la Touraine.

Les études de cas n’ont pas toutes la même profondeur. Ainsi l’étude de Communautique, fer de lance du mouvement pour l’Internet Citoyen, demeure fragmentaire en regard des objectifs même de l’organisme… et du livre, puisqu’elle est centrée sur les études de besoins menées par Communautique et élude non seulement son histoire, sa mission de formation et d’éducation populaire, mais surtout son projet politique (et communautaire ?) qui s’est exprimé dans la Plateforme pour l’Internet citoyen. De plus, l’histoire du groupe aurait mérité quelques pages supplémentaires. C’est dommage à cause de la centralité de Communautique dans la dynamique de « l’action communautaire québécoise à l’ère du numérique », pour reprendre le titre du livre. De même, le chapitre sur le Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine, ou CDEACF, reste très descriptif ; s’il est vrai que les technologies de l’information ne sont pas au coeur de sa mission, il n’en demeure pas moins que « 28 logiciels libres y sont utilisés » (p. 109) ; ici on aurait pu aller plus loin dans l’analyse du renouvellement de l’action communautaire. Plus intéressantes sont les monographies de Koumbit, collectif autogéré de « travailleurs en informatique libre » et Île sans fil, organisme reposant sur des bénévoles et dont le nom rend bien compte du projet. Ces deux chapitres, basés sur des mémoires de maîtrise, mettent bien en évidence la dynamique propre de l’organisme et les mouvements de structuration/institutionnalisation qui les traversent. De plus, il appert que le modèle mis de l’avant par Île sans fil à Montréal fait école sur le reste du continent nord-américain et jusqu’en France et que le logiciel Wifidog, qui y a été mis au point, se répand « dans un réseau mondial de ’cultures du libre‘ » (p. 157).

Si au fil des pages on apprend beaucoup sur les réseaux et « les communautés du libre », le livre en dit peu sur les liens entre ceux-ci et le reste du mouvement communautaire québécois. Aussi, s’il est manifeste qu’il existe désormais une nouvelle composante dans ce mouvement, il est beaucoup moins clair s’il y a renouvellement au sein de ce mouvement, voire dans la « sphère publique québécoise » (p. 236). Pour l’affirmer, il aurait fallu analyser d’autres organismes qui, comme le CDEACF, ne se définissent pas a priori comme militants du code ; celui-ci, qui utilise largement des logiciels libres, est-il représentatif ? Les études de besoins menées par Communautique laisseraient croire le contraire. Si de nouvelles militances apparaissent, c’est autour des technologies de l’information ; si ces technologies sont nouvelles, il n’est pas clair en quoi les formes de militance le sont : les dynamiques d’institutionnalisation mises en évidence dans deux études de cas sont tout à fait typiques du mouvement associatif ; de même, l’insertion dans des réseaux internationaux (altermondialistes) est la règle en ce début de XXe siècle.

Somme toute, ce livre ouvre une fenêtre sur une composante de l’action communautaire à l’ère numérique, qui dépasse les frontières du Québec, et qui au Québec, demeure encore minoritaire. Mais tout bouge si vite en matière de technologies que tout cela est certainement à suivre !