Comptes rendus

Jacques Cardinal,Le livre des fondations. Incarnation et enquébécquoisement dans Le ciel de Québec de Jacques Ferron, Montréal, XYZ, 2008, 202 p.[Notice]

  • Nicole Gagnon

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  • Nicole Gagnon
    Professeur retraité de sociologie, Université Laval.

Le beau titre de l’ouvrage de Jacques Cardinal semble à première vue surfait, car Le ciel de Québec ne raconte qu'une fondation, celle de la paroisse Sainte-Eulalie au village des Chiquettes. En harmoniques à cette intrigue, Cardinal n'en a pas moins retracé la présence de quelques autres fondations: refondation de la nation canadienne-française-catholique, par le bas et sous le signe du métissage, que représente le village des Chiquettes ; fondation avortée du Canada par la pendaison de Louis Riel ; grand récit fondateur que sont les Évangiles ; refondation de l'identité québécoise par l'acte même d'écrire ce livre-monument qui s'offrait comme référence mythologique, contestant celle de la pureté ethnique et prenant le contre-pied de celle de la Grande Noirceur. Fondation avortée encore, si on considère le demi-succès de ce grand livre, resté plus ou moins ignoré de l'intelligentsia comme du grand public, nonobstant deux rééditions et les efforts de la tribu littéraire, qui n'en finit plus de butiner sur cette oeuvre à l'intertextualité inépuisable, comme en témoigne le livre de Cardinal. Dans cette histoire de fondation, Cardinal s'est attardé surtout à l'épisode de la visite des trois prélats chez les Chiquettes, décortiquant un peu longuement les morceaux de rhétorique impartis au chef du village, au cardinal et à la capitanesse. Il en fait ressortir le contenu catholique : humilité chrétienne et pompe ecclésiale, intervention de la Providence divine, universalité de l'Église et incarnation dans le pays québécois. « Ferron n'idéalisait aucunement le rôle historique de l'Église » (p. 104), pourtant. C'est que cette pseudo « chronique » n'étant en rien un roman réaliste, il peut donner libre cours à l'idéalisation de la portée culturelle du catholicisme, pour réenchanter le monde des années trente. « La symbolique de l'Incarnation qui traverse tout le roman » (p. 70), ce sont d'abord les figures de clercs pleins de sagesse, tolérants, bons vivants ou réalistes (le cardinal-archevêque, monseigneur Camille, le curé Rondeau, l'abbé Surprenant), magnifiées par leurs contraires, les « mélancoliques-abstraits » (monseigneur Cyrille, l'abbé Bessette). C'est aussi l'annonce de l'érection de la paroisse Sainte-Eulalie pour la Fête-Dieu, ce jour où Dieu incarné descend dans la rue et devient propriété du peuple. C'est encore le Verbe incarné que le cardinal en vient à confondre avec la parole humaine (p. 154). Et Cardinal (tiens donc…) en remet, en couplant gratuitement le schème de la Nativité à l'icône de l'Épiphanie que théâtralisent les trois prélats/rois mages. Ferron apparaît ainsi comme précurseur de la « nouvelle sensibilité historique » (S. Kelly) qui a su faire apparaître, sous couvert de « personnalisme » (É.-M. Meunier), l'avènement de la théologie catholique de l'Incarnation au XXe siècle, venue supplanter celle du péché et de la Rédemption. Sur l'enquébécquoisement, qu'il assimile par endroits au métissage, Cardinal n'en dit guère plus que ce qui apparaît à la surface du texte de Ferron : considérations sociologiques que celui-ci met dans la bouche de ses personnages, notamment monseigneur Camille et l'honorable Chubby (oublié par Jean Marcel dans la liste des personnages historiques que Ferron a transfigurés en personnages mythiques, établie pour l'édition VLB de 1979). « Vous voulez vous enquébécquoiser ? [dit le bishop Scot à son fils Frank-Anacharsis] Eh bien, ils vous en empêcheront » (cité p. 59). Sur les conseils de l'abbé Surprenant, ethnologue de métier, le protagoniste prend la voie des petits chemins, à commencer par l’'incarnation‘ dans un bordel de la basse-ville, avant de se faire survenant au village des Chiquettes. Ici, Cardinal fait un contresens auquel on ne peut passer outre car on y est témoin de son acharnement à trouver du sens pertinent là où il n'y …