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« Kaléidoscope : petit instrument cylindrique, dont le fond est occupé par des fragments mobiles de verre colorié qui, en se réfléchissant sur un jeu de miroirs angulaires disposés tout au long du cylindre, y produisent d’infinies combinaisons d’images aux multiples couleurs » (Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2007). La forme matérielle de cet ouvrage n’emprunte assurément pas à celle du kaléidoscope, mais sa fonction est tout à fait analogue : donner à voir, et donc aussi à goûter, à découvrir, à combiner une multiplicité de manifestations sociales, politiques, territoriales et culturelles de la vie québécoise passée et présente ; l’ensemble que composent ces nombreux tableaux est d’une riche complexité. Après Découvrir le Québec, publié dans les années 1980, le but des Publications Québec français est à nouveau d’inviter à la « voyagerie » et au vagabondage, de déclencher chez le lecteur l’envie d’en connaître davantage en titillant sa curiosité. La généreuse iconographie est au service de cette visée, abondamment servie par l’esprit d’information et d’analyse qui anime les textes. Ce qu’il nous est ainsi donné à lire se présente comme une petite encyclopédie du Québec ; le lecteur se trouve au coeur d’un centre d’interprétation à la dimension de la Province.

Pourquoi ne pas le dire d’emblée ? Il est bien sûr impossible de rendre compte d’une telle polyphonie. Dès lors, que faire ? Se laisser prendre au jeu et partir en chemin, sous la conduite de ce « guide » bigarré, offert au public l’année du quatre centième anniversaire de la fondation de la ville de Québec. La route est ponctuée d’une cinquantaine de stations, confiées chacune à un spécialiste averti qui joue le rôle d’initiateur ou, plutôt, d’éveilleur, puisque les contributions, bien ramassées et très synthétiques, tiennent en moyenne en cinq ou six pages. Trois grandes artères sont ouvertes. La première est une galerie de « portraits de société » qui, de proche en proche, construisent une mise en récit de ce que furent hier et de ce que sont aujourd’hui les grands enjeux d’une société québécoise dont le ferment singulier, qui imprègne l’ensemble, est d’être la seule nation francophone d’Amérique. Les haltes invitent ainsi à mieux comprendre l’histoire nationale (Éric Bédard) et nationaliste (Louis Balthazar) du Québec, ses Premières Nations (Denis Vaugeois et Denys Delâge), sa langue (Claude Poirier), sa vie politique (Réjean Pelletier), sa façon de concevoir la question environnementale (Claude Villeneuve) ou de gérer sa nouvelle physionomie sociopolitique, marquée plus que naguère par une nette différenciation à la fois sociale et territoriale (Simon Langlois)… Ce fond de scène à dominante historique et institutionnelle traduit et matérialise un corps de valeurs original qui s’est le plus souvent bâti dans l’adversité et dans la résistance à une assimilation autant linguistique que religieuse et culturelle. Quand bien même elle permet de saisir le processus d’élaboration d’un modèle sociopolitique distinct en laissant deviner, au travers des divers domaines appréhendés, la trace d’un fil rouge imaginaire, cette série de portraits tableaux souligne, fût-ce en filigrane, que « le peuple québécois procède d’une ‘aventure historique' faite d’incertitudes et de sursauts, de doutes et de fierté » (Éric Bédard, p. 10).

La deuxième artère se présente comme un « parcours culturel ». Elle débute par une analyse de la vie culturelle en régions, loin des lumières des grandes métropoles (Fernand Harvey) ; l’étonnante efflorescence festivalière est significative de la capacité créatrice et organisatrice des acteurs régionaux, artistes et représentants des pouvoirs locaux confondus. Dans ce vaste panorama de la vie culturelle québécoise, la fonction dévolue à l’étude du passé permet de saisir les grandes étapes de l’itinéraire culturel du Québec. Le regard se porte sur les domaines reconnus et labellisés : l’architecture, le roman, la poésie, la dramaturgie, la chanson, le cinéma…, mais ne sont oubliées ni la gastronomie ni la mode – appréhendées l’une et l’autre sur quatre siècles – non plus que le sport, dans ses volets professionnel et amateur. S’il est vrai que « parcourir l’histoire de l’art québécois, c’est apprendre le Québec, le comprendre et le ressentir » (Julie Gagné, p. 78), on saisit que la place médiane qu’occupe dans l’ouvrage l’analyse du parcours culturel traduit à coup sûr l’intention qui a présidé, de facto, à la conception du projet éditorial : quérir dans la production culturelle l’âme ou l’énergie de l’identité québécoise, pétrie de racines et d’ouverture, d’héritage et d’innovation.

C’est à un « tour du Québec » qu’est finalement convié le lecteur. Chacune des régions administratives fait l’objet d’une présentation qui permet de toucher du doigt et de rendre sensible la diversité géographique, historique, économique, touristique… du Québec. L’espace provincial fait place à autant de territoires, qui se déclinent eux-mêmes en terroirs. Chacun des auteurs – géographes, historiens, écrivains, linguistes, ethnologues, élus… – s’attache à restituer l’esprit du lieu et la conscience de place de ses habitants. Le titre de l’ouvrage prend ici son sens plénier : il y a dans ces tableaux, richement illustrés, une invitation à la découverte qui prend appui sur une véritable érudition et, à l’évidence, une fierté assumée. Comment comprendre autrement la conclusion du chapitre consacré à la région Chaudière-Appalaches ? « On dit du Beauceron qu’il émigre peu. Pourquoi le ferait-il quand son ‘pays’ lui offre tout ce dont on peut rêver : un hiver lumineux, un printemps débordant de sève, un automne éclatant de couleurs et même un été qui se permet des chaleurs méditerranéennes » (Jacques Lemieux, p. 183).

Les « jeux de miroirs » du kaléidoscope font ici utilement image : par leur nombre même et le tempérament qui les porte, les contributions offrent une représentation chatoyante d’une société qui se donne à voir et à entendre ; elles proposent une série d’auto-interprétations qui renvoient également, on le souligne en général trop peu, à l’itinéraire propre des auteurs. Ceux-ci ne sont pas en effet des observateurs impassibles : la matière, au sens propre du terme, dont ils traitent ne leur est évidemment pas extérieure, et la construction sociale et nationale qu’ils analysent est un processus toujours en mouvement dont ils sont aussi les acteurs. C’est sans nul doute la joyeuse vigueur de cette galerie, placée sous le signe d’une célébration réflexive, qui frappe et intrigue le plus le lecteur étranger.