Comptes rendus

Marie-Thérèse Lefebvre, Rodolphe Mathieu, 1890-1962 :L’émergence du statut professionnel de compositeur au Québec, Sillery, Septentrion, 2004, 278 p. (Collection Musique.)[Notice]

  • Marcel Fournier

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On a dit d’André Mathieu (1929-1968) – pianiste virtuose et compositeur précoce, mort à l’âge de 39 ans – qu’il était le « petit Mozart canadien ». Le pianiste Alain Lefebvre s’évertue, depuis quelques années, à faire « revivre » ce grand musicien oublié : concert à la Salle Pleyel à Paris, etc. Mais qui sait que son père Rodolphe Mathieu fut aussi un virtuose et un compositeur ? L’ouvrage de Marie-Thérèse Lefebvre, musicologue et professeure à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, permet de connaître la carrière exceptionnelle et atypique de Rodolphe Mathieu et aussi de dresser, comme elle le dit, le portrait du milieu musical québécois de l’entre-deux-guerres. Donc une biographie et aussi une analyse sociologique d’une longue période de la vie culturelle montréalaise et québécoise. La question centrale de son ouvrage est : comment et dans quelles conditions a émergé le statut professionnel de compositeur au Québec ? Rodolphe Mathieu (1890-1962) est, comme le dit Lefebvre, « un esprit original, autodidacte et libre-penseur ». Un « personnage énigmatique » dont la trajectoire sociale et professionnelle est exceptionnelle. Bien documenté, l’ouvrage fournit de nombreuses informations sur la vie et l’oeuvre de celui que l’on va considérer comme « l’un des plus brillants compositeurs canadiens » : enfance dans un milieu rural (Grondines, Portneuf), famille de 13 enfants ; travail comme menuisier vers l’âge de 16 ans à Montréal, où il suit des cours privés de piano ; organiste et professeur de musique et écriture, en 1907, de sa première oeuvre, « Larmes » pour voix et piano ; séjour d’études en 1920 à Paris grâce à une bourse de composition du gouvernement du Québec (pas facile, écrit alors Léo-Pol Morin, d’obtenir une telle bourse dans un pays « où on ne sait pas très bien ce qu’est un compositeur, surtout un compositeur qui ne joue pas [sic] en virtuose d’aucun instrument ») et écriture de plusieurs oeuvres (dont « Quatuor à cordes », « Trio » et « 12 études modernes » pour violon) ; retour à Montréal où il enseigne la musique dans des écoles et devient un animateur de la vie musicale et culturelle (organisation des Soirées-Mathieu, création de la Société internationale de musique) ; abandon de la composition à la fin des années 1930 et, dans les années d’après-guerre, la grande désillusion. Une carrière somme toute difficile, tant au plan financier qu’au plan de la reconnaissance. L’intérêt de l’ouvrage de Marie-Thérèse Lefebvre est, au plan sociologique, indéniable. On y trouve en effet d’excellentes descriptions des milieux culturels, tantôt en France pendant les Années folles, tantôt à Montréal dans l’entre-deux-guerres. À Paris, Mathieu fréquente le milieu fort animé des étudiants canadiens (Léo-Pol Morin, Marcel Dugas, le pianiste Alfred Laliberté, Fernand Préfontaine, Robert de Roquebrune) et il suit les cours de Vincent d’Indy, mais il vit plutôt isolé. Pour expliquer cet isolement, Lefebvre invoque ses origines paysannes, la marginalité de ses propos et le « caractère instinctif » de sa création » (p. 93). L’analyse qu’elle fait de la vie musicale dans l’entre-deux-guerres à Montréal fait découvrir beaucoup de choses sur les milieux culturels montréalais : la grande animosité entre artistes, la situation difficile des musiciens québécois coincés entre la France et les États-Unis, l’enjeu que représente l’enseignement musical (avec la création en 1942 d’un conservatoire), le rôle de la radio (L’Heure provinciale), l’opposition entre les publics francophone et anglophone, le premier fonctionnant à la souscription et le second, à la prétention. On retrouve tout un ensemble de personnages : l’« imposant » critique musical Frédéric Pelletier, qui dénonce ce qu’il appelle « …