Notes critiques

La patente, énigme non résolueDenise Robillard,L’Ordre de Jacques Cartier. Une société secrète pour les Canadiens français catholiques, 1926-1965, Montréal, Fides, 2009, 541 p.[Notice]

  • Gilles Paquet

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On a relativement peu écrit sur la vraie société civile du Canada français au XXe siècle, sur sa réactique, sur ses intérêts et capacités à développer des stratégies pancanadiennes. Tout au plus peut-on citer certains écrits sur la bourgeoisie qui ont émaillé les travaux marxisants dans les années 1970. C’est un peu comme si l’émergence de l’État conquérant et de la québécitude au Québec dans les derniers 50 ans avait repoussé le Canada français dans les marges du pays, et sa société civile dans les marges de ces marges. Le gros du travail historique a porté sur les faits économiques et politiques construits autour de réalités administratives comme les provinces. Le Canada français sociologique s’est lentement effacé. Et quand on l’a abordé, c’est trop souvent par morceaux ou dans des registres idéologiques ou fantasmagoriques où l’imagination de l’auteur prenait toute la place. C’est pourquoi on ne pouvait que se féliciter de voir un livre paraître sur une société secrète canadienne-française qui a eu des ambitions pancanadiennes et dont on savait trop peu de choses. Le livre de Denise Robillard (2009) était d’autant plus attendu que le gros de ce qu’on avait écrit sur l’Ordre de Jacques Cartier était plutôt l’écho soit de témoignages d’imprécateurs ou de membres excommuniés, soit de rapports hagiographiques, soit de survols assez superficiels – à l’exception du livre de G. Raymond Laliberté (1983) : un peu mécanique et idéologiquement corseté, mais fort riche au plan de la compréhension de l’Ordre. On pouvait s’attendre dans un livre de plus de 500 pages à y voir exploré au grand jour et sur une longue période le dynamisme complexe d’un groupe social minoritaire cherchant 1) à défendre et à promouvoir sa langue en tant que véhicule officiel, 2) à assurer à la minorité linguistique sa quote-part aux places dans la fonction publique fédérale, et 3) à utiliser réseautage et instruments de promotion pour assurer l’impact de son action sur le rayonnement du groupe et de sa langue ainsi que sur son milieu plus vaste. La période 1925-1965 correspond à une ère de grands bouleversements dans l’histoire du Canada français. Crise économique majeure, Seconde Guerre mondiale, urbanisation galopante, émergence de l’État-providence, immigration massive dans l’après-guerre, etc. – autant de facteurs qui sont venus brouiller l’équation linguistique au coeur des préoccupations du groupe. L’histoire de l’émergence, de la croissance, du déclin et de la mort de l’Ordre de Jacques Cartier (OJC) de Denise Robillard promettait donc d’être une sorte de séismographe intéressant d’une expérience sociolinguistique mouvementée. Or, le lecteur est laissé sur sa faim tout au moins si l’on veut comprendre la logique sociale que cette expérience pouvait censément révéler. On a droit à un relevé pointilleux et très détaillé des échanges entre les membres de la garde rapprochée d’une petite élite bureaucratique de personnes associées à l’Ordre (y compris leur santé oculaire). Ce travail est riche en renseignements souvent triviaux mais demeure assez pauvre en explication et en compréhension d’un phénomène social qui méritait mieux, de la réalité sociopolitique dont il devait censément être le révélateur, et de l’impact de son action. Le livre de Denise Robillard est une « histoire faible » au sens où Lévi-Strauss employait ce terme – anecdotique, événementielle, riche du point de vue de l’information – et non pas une « histoire forte » permettant de comprendre la dynamique de l’Ordre et sachant expliquer la logique sociale du Canada français au cours de cette période. Et pourtant toute l’information était là, mais elle appelait des analyses plus poussées et plus fines. La raison principale pour laquelle le livre déçoit est qu’il se concentre trop …

Parties annexes