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Ce livre dresse l’évolution de l’économie québécoise depuis les années 1970 et examine l’impact de la présente crise sur son devenir. Ses directeurs ont réuni une équipe de neuf auteurs, majoritairement du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), spécialisé dans l’analyse des politiques publiques et des finances. L’ouvrage comprend 14 chapitres regroupés en deux parties. Il a été conçu de manière à être lu par le non-spécialiste, avec 19 précis portant sur des concepts ou des pratiques économiques et 15 encadrés faisant le point sur une situation donnée, auxquels s’ajoutent pas moins de 41 tableaux et 97 graphiques.

La première partie brosse les grandes lignes de l’économie, de la démographie et des finances publiques depuis le milieu des années 1970. On y apprend que la croissance économique québécoise, de 2,1 % en moyenne entre 1981 et 2007, reste inférieure à celles du Canada (2,8 %), des États-Unis (3,0 %) et des pays de l’OCDE (2,8 %). La province a profité de l’ALÉNA, qui lui a assuré de bonnes exportations, mais sa productivité, après avoir progressé entre 1989 et 2000, tend à plafonner. Le Québec entretient un taux de chômage plus élevé que ses voisins, malgré les efforts pour le diminuer et une participation appréciable des femmes dans le marché du travail. De plus, si l’éducation postsecondaire a fait des progrès, les détenteurs d’un diplôme universitaire restent proportionnellement inférieurs par rapport à l’ensemble des pays de l’OCDE. En revanche, le Québec est avantagé par une distribution plus égalitaire des revenus que dans le reste du Canada, grâce au rajustement accompli par les impôts et les transferts. Toutefois, le problème le plus crucial demeure le vieillissement de la population : en 2056, ceux qui auront 65 ans et plus formeront 28 % des habitants, ce qui fera du Québec la nation la plus âgée de l’OCDE. En outre, la population en âge de travailler menace de plafonner alors qu’ailleurs en Amérique du Nord, elle sera en hausse. Enfin, les régions périphériques du Québec tendent à se vider au profit de la couronne montréalaise et de l’Outaouais.

Comment alors apprécier les finances publiques de la province ? Force est de constater qu’en dépit d’efforts notables après 1996, elles exercent toujours une ponction plus grande qu’au Canada. La croissance des dépenses publiques déborde trop celle de l’économie. Si les dépenses liées à l’éducation diminuent par rapport au PIB, en retour celles consacrées à la santé et aux services sociaux augmentent. C’est dans cette situation que le Québec subit la crise de 2008, ce dont il est question dans la deuxième partie. Pierre Fortin associe cette crise à la bulle hypothécaire et à la titrisation effrénée qui sévit aux États-Unis. La récession a entraîné une dépréciation d’environ 2 100 milliards de dollars des actifs financiers américains. Cependant, conclut l’auteur, l’intervention efficace de la Federal Reserve laisse croire que la reprise est proche. Une conclusion peut-être trop optimiste, au vu des déboires de la zone euro. Jean-Pierre Aubry, dans le chapitre suivant, examine les effets de cette récession sur le Québec. Chose intéressante, la province s’en tire mieux que ses voisines. Cela s’explique sans doute par la profonde mutation que l’économie québécoise est en train de vivre, avec le déclin des emplois liés aux exportations et la croissance de ceux dans les services : l’industrie et le secteur des biens ont en effet plus souffert que les services. Notons que la construction résidentielle et infrastructurelle a également permis au Québec de tirer son épingle du jeu. Toutefois, la reprise sera lente.

Les chapitres suivants, signés par Luc Godbout, Suzie St-Cerny, Youri Chassin, Marcelin Joanis, Mathieu Laberge et Claude Montmarquette, s’intéressent au budget gouvernemental. Si le Québec veut revenir à l’équilibre budgétaire et poursuivre la politique préconisée par le Fonds des générations en 2004, il faudra prévoir de fortes compressions à court terme. La situation paraît d’autant plus grave que le Québec semble participer à la tendance à l’endettement public des provinces et des États du nord-est du continent. Notons toutefois que le Québec se retrouve en position médiane dans les pays de l’OCDE, et, parmi les provinces canadiennes, il se situe en tête de peloton pour ce qui est de la prévision budgétaire. Mais cela n’empêche pas les auteurs de suggérer l’implantation d’un « cadre budgétaire de moyen terme ». Pour terminer, Mathieu Laberge, Marcelin Joanis et François Vaillancourt se penchent sur les déboires de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui a perdu 40 milliards de dollars en 2008, un montant élevé comparé aux pertes d’Omers et de Teachers. Après un court historique de la Caisse, les auteurs font état de la diversification croissante de son portefeuille, ainsi que du poids prédominant des caisses de retraite parmi ses déposants. En dépit de tous les handicaps mentionnés, les auteurs demeurent optimistes quant à l’avenir économique du Québec, ouvert au commerce international et rompu à une discipline budgétaire minimale.

Ce livre a plusieurs mérites. Tout d’abord, il offre des données précisant la position du Québec par rapport à ses partenaires. On regrettera cependant que les graphiques à dimension historique n’aient pas tous la même chronologie : certains commencent en 1976, d’autres en 1981 ou 1990. Ce manque d’uniformité diminue la portée de l’analyse. L’ouvrage fait néanmoins ressortir les grands défis qui attendent le Québec. Par exemple, l’effet combiné du vieillissement de la population et du dépeuplement des régions périphériques a de quoi inquiéter : tout se passe comme si le Québec francophone s’engageait dans une nouvelle forme de survivance. Il faut espérer que l’ouverture du Québec sur le commerce mondial palliera la situation. C’est en tout cas ce que souhaitent les auteurs. Or, sur ce plan, les performances du Québec sont nettement inférieures à celles de pays comme la Belgique et l’Irlande. L’ouvrage apporte également d’intéressantes vues sur les finances publiques. Il montre l’importance de l’endettement, qui se situe néanmoins dans la moyenne des pays de l’OCDE. On peut pourtant se demander si les auteurs n’insistent pas trop sur les finances publiques. Bien sûr, celles-ci comptent pour près de 40 % du PIB, mais la question est de savoir pourquoi. Sur ce point, les analyses du livre sont insuffisantes. À trop appuyer sur l’équilibre budgétaire et sur la nécessité d’avoir des données comptables fiables, les autres aspects de l’économie québécoise restent dans l’ombre. J.-P. Aubry soulève à peine le voile sur ces questions. La transition économique dont il fait état, jumelée au choc démographique, n’est pas de bon augure pour le Québec. Indépendamment des vicissitudes du budget gouvernemental, c’est l’activité économique de la province qu’il faudrait examiner. Pouvons-nous exporter plus d’énergie, redresser le secteur forestier, occuper des domaines à haute technologie ? Autant de questions, et bien d’autres, qu’une suite au présent ouvrage pourrait aborder.