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Ce volume est la quinzième édition d’une publication annuelle qui reprend les thèmes majeurs des ouvrages récents. Comme pour les autres années, le lecteur y retrouve principalement de courts textes rédigés par des journalistes spécialisés et des universitaires sur une quinzaine de thèmes : démographie, environnement, santé, éducation, arts et culture, médias, société civile et participation citoyenne, valeurs et modes de vie… Les deux dossiers spéciaux de cette année sont bien choisis ; ce sont l’éthique publique et la crise économique. Signalons que l’intégrale des éditions de 1996 à 2008 de cette série est disponible en ligne sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ce compte rendu se limite aux contributions des universitaires.
Les moyens de communication québécois présentent très souvent une image tronquée du travail scientifique. En voici deux exemples révélateurs. En 2001, la Société Radio-Canada décernait le titre de Scientifique de l’année à un professeur d’université qui n’avait complété qu’un baccalauréat et dont le curriculum vitae ne montrait aucune publication scientifique dans une revue avec évaluation par les pairs. Parallèlement, au cours d’une longue période, la référence en matière d’environnement, même pour les émissions scientifiques, était un activiste qui n’avait pas complété son baccalauréat en science politique et théologie. C’était comme si le directeur des relations publiques de la compagnie Kraft devenait la référence en matière de nutrition.
La difficulté de définir le travail universitaire est présente dans la publication L’état du Québec 2010 qui sera dorénavant une « édition conjointe » de l’Acfas (Association francophone pour le savoir) et de l’Institut du nouveau monde. Le président de l’Acfas écrit : « Les chercheurs publient énormément pour le grand public : des guides, des synthèses. On pense à l’ouvrage Au bout du pétrole publié par le physicien Normand Mousseau, et à cet autre, Les aliments contre le cancer de Richard Béliveau. » Le premier livre mentionné n’est pas une contribution scientifique, mais plutôt un essai qui a des caractéristiques pamphlétaires.
Milton Friedman, qui mérite d’être qualifié à la fois d’économiste majeur et d’activiste redoutable, a bien cerné le problème. Même si c’est inhabituel, je me permets de reprendre une longue citation d’une communication autobiographique en raison de l’importance du sujet :
Il est important de distinguer entre le travail scientifique que font les économistes et les autres choses que font les économistes. Les économistes sont membres d’une communauté ainsi que des scientifiques. Nous ne consacrons pas cent pour cent de nos vies à des travaux purement scientifiques. Les physiciens ou les chimistes ne le font pas non plus. En principe, je crois que l’économique possède une composante scientifique dont le caractère n’est pas différent de la composante scientifique de la physique ou de la chimie ou de toute autre science de la nature […].
Pour reprendre ma propre expérience, j’ai été actif en politique publique. J’ai essayé d’influencer la politique publique. J’ai parlé et écrit sur des questions de politique. Ce faisant, toutefois, je n’ai pas agi en ma qualité de scientifique, mais en ma qualité de citoyen, de citoyen bien informé je l’espère. Je pense que ce que je sais en tant qu’économiste m’aide à former de meilleurs jugements sur certains problèmes que je ne le pourrais sans cette connaissance. Mais fondamentalement, mon travail scientifique ne doit pas être jugé par mes activités en matière de politique publique.
W. Breit et R.W. Spencer (dirs), Lives of the Laureates : Thirteen Nobel Economists, Cambridge MA, MIT Press, 1995, p. 90-92, traduction libre
La majorité des textes d’universitaires de ce volume corroborent la pertinence de cette citation. En voici deux exemples. Le premier dénonce le « dogmatisme », « l’aveuglement des économistes orthodoxes » et « l’illusion de rigueur que crée son habillage mathématique élaboré et l’attrait que représentent toujours les réponses simples aux problèmes complexes ». L’auteure oublie que l’objet d’une science sociale est l’explication des phénomènes sociaux. Le second texte, écrit par un détenteur d’une chaire de recherche du Canada, s’intéresse aux incertitudes reliées au financement de la recherche universitaire. C’est un plaidoyer à l’aide d’expressions fortes pour un financement considérablement accru de la recherche, mais toujours sans attache. Dans un texte très agressif, l’auteur n’étudie pas les caractéristiques que devrait avoir le financement de la recherche pour une petite économie comme le Canada ou le Québec. Il ne devrait pas oublier ce proverbe anglais : He who pays the piper calls the tune.
Dans le cadre de l’entente avec l’Acfas, ce livre sera dorénavant remis à ceux qui s’inscrivent au congrès annuel de cet organisme. Cette initiative a un important inconvénient : l’ouvrage n’offre pas aux collègues des sciences naturelles une image valable de l’apport des sciences sociales. Ils y verront plutôt des textes discursifs et moralisateurs sur les phénomènes où souvent les quotidiens tels Le Monde et La Presse servent de référence. Le manque de rigueur, que les universitaires dénoncent chez les autres, est souvent présent dans ces textes.
En somme, les universitaires prennent la voie facile des prescriptions au lieu du travail plus humble d’expliquer les phénomènes sociaux. Ils ne remplissent pas leur rôle. La présente culture de l’instantané favorise ce biais. Cette critique s’applique aux publications précédentes de cette collection. Le lecteur assidu y retrouve annuellement la même forme de publication. À cause de ce manque de nouveauté, d’un moins grand recours aux figures et tableaux de données et des nombreux textes trop prescriptifs, mon intérêt pour cette publication, que je me procurais annuellement, décroît.