Comptes rendus

Gaétan Nadeau, Angus, du grand capital à l’économie sociale, Montréal, Fides, 2009, 297 p.[Notice]

  • Benoît Lévesque

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Cet ouvrage raconte l’histoire d’une immense usine de production de locomotives et de wagons (Angus Shops) construite à la fin du XIXe siècle, dans l’est de Montréal, et son remplacement au début des années 1990 par une entreprise sociale, la Société de développement Angus (SDA), un technopôle. Cette histoire locale est intéressante en elle-même, mais aussi pour la grande histoire, celle de la société québécoise, de la modernisation de son économie et de sa reconversion. L’ouvrage comprend quatre grandes parties, mais la seconde consacrée aux Ateliers Angus est la plus élaborée et la plus inspirée. La première partie porte d’abord sur le tracé du chemin de fer de la rive nord du fleuve Saint-Laurent, qui fut l’objet de vives luttes au sein de ce secteur industriel et entre les villes de Québec et de Montréal. Dans le dernier quart du XIXe siècle, le territoire de l’est de Montréal devient stratégique pour la localisation des ateliers de réparation des trains de cette ligne (chapitre 2). La plus grande partie des terrains des quartiers concernés seront achetés par le Canadian Pacific Railway (CPR) pour éviter qu’un concurrent ferroviaire s’y installe. Ainsi, le développement de la ville de Rosemont, un quartier de la ville Montréal à partir de 1910, sera tributaire du train. La population y connaîtra une forte croissance démographique pour atteindre, en 1924, près de 10 000 habitants dont 40 % de religion protestante et principalement anglophones. Fortement encadrée par l’Église catholique et par des congrégations religieuses, la population francophone y vit comme dans un monde parallèle, y compris pour les travailleurs des Ateliers Angus. La seconde partie de l’ouvrage est dédiée aux Ateliers Angus eux-mêmes. Le premier chapitre en présente la puissance productive : « une merveille industrielle ». À leur zénith, ces ateliers pouvaient fabriquer tout ce dont on a besoin pour la construction de trains : du boulon aux roues, des locomotives aux wagons luxueux de passagers. Le nombre d’employés passe de 6 616 en 1927 à 12 000 quelques années plus tard. Les rapports de travail s’inscrivent d’abord dans un welfarism patronal états-unien, soit un programme philanthropique visant l’amélioration des conditions de travail, une politique salariale avancée, des services sanitaires et de santé, des activités hors travail touchant le loisir et le sport. Dans cette perspective, Angus, « c’est une ville dans la ville, mais une ville laïque » où les francophones sont à la fois minoritaires et moins intégrés. Par ailleurs, le chapitre deux révèle le rôle important des syndicats internationaux de métiers dans les ateliers, au sein du Conseil des métiers et du travail de Montréal (CMTM) créé en 1903 et dans les clubs ouvriers. Le milieu ferroviaire, notamment celui de Montréal, était fertile à la syndicalisation et ouvert aux influences extérieures, celles de la gauche britannique et du syndicalisme d’affaires états-unien. À l’aube de la Première Guerre mondiale, la majorité des travailleurs d’Angus venaient de l’extérieur du Canada. Après la Seconde Guerre mondiale, les travailleurs francophones deviennent majoritaires. Au début des années 1960, les syndicats internationaux sont débordés sur la gauche par ceux de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) qui obtient alors la majorité de la représentation. Les quatre chapitres suivants, moins significatifs que les autres, portent successivement sur les travailleurs italiens et ukrainiens en position subalterne par rapport aux travailleurs d’origine britannique, sur « Angus à travers la guerre », sur la Caisse d’économie d’Angus et, enfin, sur le déclin des ateliers puis leur fermeture. Les deux grandes guerres mondiales ont touché plus fortement les travailleurs d’origine récente que les francophones tout en affectant l’ensemble de la production mobilisée à …