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Ce livre écrit par Mira Falardeau, elle-même caricaturiste et spécialiste de l’image comique, et Robert Aird, historien du comique, a été primé à juste titre dans le cadre de la Journée du livre politique (3e prix). On y trouve en huit chapitres l’évolution de la caricature de ses débuts dans la presse satirique à l’ère numérique qui est la nôtre. Dans les premières publications, les dessins humoristiques amalgament allègrement saveur politique et anecdote sociale ; la distinction entre le positionnement idéologique et la critique sociale se fait lentement. Au milieu du XIXe siècle, les feuilles satiriques du Canada-Est étaient néanmoins à l’avant-garde de la raillerie mordante et politique sur leurs analogues européens et américains. Au point où on se demande si l’esprit novateur des Canadiens français dans la satire politique ne leur venait pas de ce qu’ils gardaient à distance d’eux-mêmes les institutions britanniques. Avec le XXe siècle et l’apparition de la grande presse, une scission s’opère entre la presse d’opinion – dont certains journaux flirtent avec la propagande en temps de guerre – et les journaux satiriques. À partir de là, critique sociale et satire politique poursuivront leur chemin séparément. De la confusion des genres du début, on passe ainsi progressivement, tout au long du siècle à une spécialisation de la presse et, avec elle, de la caricature. Le mouvement atteint une sorte d’apogée dans les années 1960 quand l’industrie du divertissement conduit à une professionnalisation de l’humour.

Cette histoire retrace, pour notre plaisir, les moindres feuilles et publications contenant des dessins humoristiques dès leur début, recensant ensuite autant les grands quotidiens, les hebdomadaires que les journaux régionaux, allant de la presse aux magazines spécialisés en dessins d’humour, lesquels ont été, et sont encore, de véritables pépinières de caricaturistes. Les auteurs n’hésitent donc pas à traquer la caricature, quand elle s’évade du journal pour investir d’autres lieux comme la bande dessinée, ou le terrain de l’animation 3D, par exemple ces divines émissions de Et Dieu créa... Laflaque de Serge Chapleau. Aird et Falardeau s’intéressent autant à la technique (de la gravure sur bois aux logiciels de traitement de l’image) qu’au type d’humour (social, satirique, irrévérencieux, etc.) et au style du dessinateur (ligne claire, hachurée, personnages hypercéphales, etc.). Ils ont en outre rencontré des caricaturistes et étayent leurs propos sur les aléas du métier d’extraits de ces entrevues. Pour chaque période, ils s’attardent sur les figures marquantes du métier, telles qu’Henri Julien, Robert LaPalme, (Jean-Pierre) Girerd, Berthio (Roland Berthiaume), Aislin (Terry Mosher) et d’autres, dont on nous montre plusieurs dessins qui font bien saisir le style caractérisant chacun d’eux.

Bien écrite, bien documentée et surtout agréablement illustrée, cette Histoire de la caricature est d’autant plus bienvenue qu’elle comble un grand vide. Elle et ses plus récentes « demi-soeurs », Histoire du cinéma d’animation au Québec (M. Falardeau, Typo, 2006), Histoire de la bande dessinée au Québec (M. Falardeau, VLB 2008), et Histoire politique du comique au Québec (R. Aird, VLB 2010), circonscrivent le terrain québécois, jusqu’ici non prospecté, du drolatique et du comique. Un quart de siècle après l’inauguration d’institution, telles que le Festival Juste pour rire et l’École nationale de l’humour, il est heureux que des historiens se penchent enfin sur cette production foisonnante, et socialement envahissante.