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Ce livre est issu de l’atelier « La croissance des milieux minoritaires, bilan et perspectives dans le cadre des littératies multiples », tenu à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa en décembre 2006 et en avril 2007. Diana Masny présente à grands traits la théorie des littératies multiples (TLM) qu’elle a élaborée et invite le lecteur à prendre connaissance des applications de la TLM réalisées par de nombreux auteurs depuis une dizaine d’années et regroupées dans ce volume. L’émergence des New Literacy Studies (NLS) à la fin des années 1980 amena un changement de paradigme où la littéracie, définie jusqu’alors en tant qu’habiletés liées à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, a été redéfinie en tant que littératies multiples s’inscrivant dans une pluralité de pratiques culturelles. L’élaboration de programmes d’enseignement qui tiennent compte des littératies multiples repose sur le constat que les anciens programmes encourageaient surtout le développement de la littératie de type scolaire et offraient peu d’occasions d’en développer d’autres (p. 10). Dans cet ouvrage, Masny rassemble des études récentes (2004-2007) mettant en lumière comment les chercheurs et praticiens ont mis en pratique sa théorie dans le cadre de l’école, du foyer et de la communauté, de la petite enfance jusqu’aux adultes. Des exemples tirés de recherches quantitatives et qualitatives lui permettent d’ajuster une théorie des littératies multiples au contexte particulier des francophones vivant en situation minoritaire.
Masny définit les littératies en tant que construit social incluant non seulement des pratiques scolaires, mais également des pratiques personnelles, communautaires et critiques qui, ensemble, permettent à l’individu « de lire, lire le monde et se lire en tant que textes » (p. 10). Se distinguant des paradigmes de la littérature anglaise, notamment les NLS et les multiliteracies, et cherchant à affiner son propre cadre théorique dans le contexte francophone, elle lie par ailleurs les littératies multiples à certains concepts élaborés par Deleuze et Guattari incluant le désir, la déterritorialisation, le devenir et la différence ainsi que la subjectivité plus largement (Masny et Waterhouse, p. 331-334). Les littératies multiples sont ainsi un processus réflexif et transformatif pour l’individu, toujours en train de se faire, de devenir. Une lecture critique des recherches présentées dans cet ouvrage permet de capter la complexité inhérente de la TLM en tant que théorie en devenir qui n’est pas déterminée ou figée, car elle passe continuellement par des transformations (p. 335). Elle invite aussi à réfléchir à sa dimension politique. La TLM en tant que construit social s’actualisait dans des rapports de pouvoir et des pratiques négociées. Cette collection d’études fait ressortir la polysémie des littératies multiples, les auteurs interpellant différents aspects de la TLM, et par moments à partir d’interprétations contradictoires.
Le livre a cinq sections : les littératies multiples au préscolaire, les littératies multiples à l’école, les littératies et la littératie familiale, les littératies et la santé et les littératies multiples et le devenir d’une personne. Dans la première partie, l’étude des orthographes approchées de Montésinos-Gelet et celle de Bolduc sur l’improvisation musicale comme moyen intuitif à la disposition des petits pour expérimenter avec la lecture et l’écriture illustrent qu’il existe plusieurs façons à partir desquelles les enfants développent leur littératie personnelle. La TLM, particulièrement au niveau préscolaire, propose ainsi une approche inclusive permettant d’intégrer les littératies scolaires et familiales pour soutenir le développement de la lecture et de l’écriture.
Le volet 2 du livre présente la TLM en tant que pédagogie critique visant à soutenir l’enseignement à travers les diverses disciplines pour inclure les technologies de l’information et de la communication (Blain et al.), les littératies mathématiques (Boyer), l’apprentissage des sciences (Laplante) et, enfin, l’apprentissage en français en milieu minoritaire (Buors et Lentz). Les études font ressortir les limites des pédagogies traditionnelles qui mettent l’accent sur la littératie scolaire sans tenir compte des autres littératies (critiques, personnelle, communautaire). Toutefois, bien que la TLM invite l’élève à faire des liens entre l’apprentissage à l’école et ses expériences au-delà de l’école, les études présentées limitent leur champ d’action à l’intégration de littératies multiples en français ou à l’intérieur de paramètres francophones, occultant la présence et le potentiel de langues additionnelles chez l’élève. Bien que le maintien de la langue française soit une préoccupation légitime en contexte francophone minoritaire, il semble que l’ouverture philosophique de Masny à l’endroit des littératies multiples et du bilinguisme additif fait appel, tout autant, au désir d’appuyer le plurilinguisme des élèves, une réalité aujourd’hui bien ancrée dans les écoles de la minorité.
Les volets 3 et 4 poursuivent la mise en application de la TLM hors du contexte scolaire dans les collectivités francophones à travers le Canada. Les cinq chapitres traitent des pratiques de littératies familiales (Beauchamp et Lacelle, Boudreau, Saint-Laurent et Giasson, Bissonnette) et communautaires (Dionne-Coster et Fauchon) ainsi que des littératies en santé chez les adultes (Kaszap et Zanchetta). Ils contribuent ainsi aux débats actuels sur le développement des milieux francophones, notamment en santé, et contribuent par des recherches empiriques à l’élaboration des connaissances sur l’apport de la TLM dans le renforcement des liens entre l’école, la famille et les milieux francophones en situation minoritaire. Ces études rendent compte du potentiel de la TLM comme outil d’analyse et d’intervention auprès des familles.
Masny et Waterhouse discutent, en dernière partie de l’ouvrage (volet 5), l’évolution démographique au sein des systèmes d’éducation de langue française et identifient des lacunes importantes dans la recherche en ce qui a trait aux conséquences pédagogiques dans le cadre d’une population scolaire de plus en plus diversifiée aux plans linguistique et culturel. Le portrait d’Estrella, une élève trilingue du primaire, permet d’illustrer le potentiel que revêt l’idée de réagir positivement à la diversité linguistique en reconnaissant les littératies multiples chez les élèves et en donnant l’occasion à l’élève de puiser dans ses divers répertoires linguistiques à l’école : « Les processus créatifs permettent aux littératies d’aller au-delà des littératies multiples, de les prolonger, de les transformer et de transformer les apprenants » (p. 359). Une telle ouverture offre « une voie différente pour formuler la recherche sur le langage et les littératies et élaborer des stratégies d’enseignement et d’apprentissage de manière à offrir des possibilités et des perspectives autres sur l’apprentissage du langage et des littératies » (p. 359). À l’instar des auteurs collaborant à ce livre, Masny et Waterhouse s’abstiennent de proposer une formulation définitive et invitent plutôt le lecteur à poursuivre le processus toujours en transformation de lire, lire le monde et de se lire en tant que texte. L’enjeu soulevé consiste à interroger la TLM sur les façons de se développer en tant que paradigme inclusif venant soutenir la pluralité de littératies chez les francophones vivant en situation minoritaire.