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On doit à Marc Chevrier, Louis-Georges Harvey, Stéphane Kelly et Samuel Trudeau la préparation de cet ouvrage de 529 pages qui vise à faire découvrir au public francophone l’existence d’une véritable tradition républicaine québécoise. Cette anthologie comporte près de 80 extraits de textes d’auteurs aussi apparemment différents du point de vue de l’histoire des idées que Pierre Maheu, le baron de Lahontan, Clément Duménil, Arthur Buies, Pierre Elliott Trudeau ou encore André D’Allemagne. Le simple survol de la table des matières pourrait donner l’impression que les auteurs de cet ouvrage ont ratissé très large. La lecture attentive des textes convainc pourtant aisément de la pertinence de l’entreprise.

Les deux textes introductifs de l’ouvrage, petits bijoux de clarification conceptuelle et d’érudition, situent bien en quoi le républicanisme se distingue nettement du libéralisme, même s’il en partage souvent le vocabulaire. On y explique aussi pourquoi le républicanisme n’a pas réussi à s’imposer comme tradition au Québec malgré son potentiel émancipateur. La situation coloniale de la province, d’abord, alors que le Québec est soumis à un monarque étranger qui semble paradoxalement lui faire cadeau des fruits de la liberté par la voie de son parlementarisme, le conflit ultérieur entre fédéralistes et souverainistes puis l’influence du marxisme auront eu comme conséquence de reléguer au second plan la question de la forme que devrait prendre le régime politique. En filigrane de notre histoire, l’idéal de la république n’est pourtant jamais bien loin. Le régime républicain est appelé de leurs voeux par tous ceux qui jugent limitatives les promesses d’émancipation libérale. En effet, alors que la tradition libérale relègue la liberté humaine à la sphère privée, voyant le politique comme une entrave potentielle, le républicanisme fait du politique le lieu de l’excellence humaine. Les thèmes classiques de la tradition républicaine, qu’il s’agisse d’opposer la vertu citoyenne aux dangers que la corruption fait courir au politique, l’importance de l’éducation pour préparer à la vie civique ou alors les dangers de la dépendance personnelle ou collective sont tous des thèmes que l’on retrouve dans les textes ici proposés. S’il y a une particularité québécoise à cette tradition, elle se situe sans doute dans la critique de la domination coloniale, qui a notamment fait rêver nombre d’intellectuels canadiens-français à une possible annexion à la république étasunienne.

Divisée en fonction des grands thèmes républicains que nous venons d’évoquer, cette anthologie (contrairement à ce que son titre pourrait suggérer) renvoie principalement à l’idée de république dans le contexte québécois. À quelques exceptions près, les auteurs ici retenus s’intéressent en effet d’abord à la république comme projet d’émancipation pour le Québec et non pour l’ensemble des francophones du continent.

Les responsables de ce collectif ont eu l’excellente idée de présenter, dans de courts textes introductifs placés avant chacun des extraits et avant chaque section thématique, le contexte général dans lequel ont été écrits les textes qu’on nous donne à lire. Cette attention agrémente la lecture et donne cohérence à l’ensemble du projet, qui est celui de faire découvrir une tradition – il n’est plus possible d’en douter après la parution de cet excellent ouvrage – bien vivante pendant une bonne période de temps de l’histoire du Québec.